Page:Bulwer-Lytton - Le Maître d’école assassin, 1893.djvu/80

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faut que j’aie diantrement changé. C’est bien heureux après tout, je suis maintenant bien aise d’aller et de venir sans me faire remarquer.

Le cavalier tomba dans une rêverie profonde, qu’interrompit enfin le murmure du ruisselet ensoleillé qui, en heureux enfant gâté de la Nature, s’escrimait contre le moindre des obstacles qu’il rencontrait en son chemin. Ce murmure résonnait aux oreilles du voyageur comme une voix familière depuis l’enfance à son oreille. Que cette voix était douce et chère ! Nul air de musique, aucune de ces mélodies qui vous hantent à jamais, n’avait évoqué en lui un torrent de souvenirs aussi nombreux, aussi pressés que le simple chant de ce ruisseau, au bavardage, au mouvement infatigable, éternel. Éternel !… tout avait changé : des arbres avaient poussé, d’autres arbres avaient péri. Plusieurs cottages du pays n’étaient plus que des ruines ; d’autres cottages neufs, aux physionomies inconnues, avaient surgi à leur place. Et sur l’étranger lui-même, sur tous ceux que lui rappelait ce gazouillement, le Temps avait accompli son œuvre, mais le ruisselet bondissait toujours, il avait toujours ce chant joyeux et plein d’entrain. Que dans des siècles, cette course conserve toute sa folle gaîté, ce murmure bienveillant ! ce sont des choses bénies, ces ruisseaux écartés qui ne changent pas. Ils nous inspirent le même amour que s’ils étaient des créatures vivantes ; il y a quelque part dans le monde un coin verdoyant que moi-même je ne revois jamais sans verser