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intercalait toujours dans ses discours de longs compliments à l’adresse du caractère élevé de Sa Seigneurie, et des expressions pleines de civilités pour le candidat présenté par elle. Mais après de nombreuses élections successives, le représentant actuel de l’une de ces deux familles faisait partie du conseil du gouvernement ; le chef de l’autre famille siégeait à la chambre et, par amitié pour les Lansmere, il resta aussi neutre dans les débats que peut le faire un membre de la chambre au milieu d’une commission turbulente. En conséquence, on avait espéré qu’Egerton passerait sans opposition, lorsque le jour même où il avait si brusquement quitté la place, une affiche signée Haverill Dashmore, capitaine de la marine royale, Baker-street, Portman-square, annonça en style pompeux l’intention où était ce gentleman d’affranchir le bourg de l’illégale domination exercée par une coterie. Ce qui, disait-il, le faisait parler, n’était pas l’espérance d’agrandir son rôle politique, car de cet agrandissement résulteraient pour lui de grands embarras personnels : il était uniquement inspiré par sa haine pour la tyrannie et par le patriotique désir de voir des élections honnêtes et loyales.

Il y avait à peine deux heures que cette profession de foi était affichée, lorsqu’on vit arriver le capitaine Dashmore en personne ; sa voiture à quatre chevaux était ornée de rubans jaunes, remplie au dedans et au dehors d’écervelés qui venaient avec lui briguer l’élection et prendre part au divertissement.

Le capitaine Dashmore était un marin déterminé et qui néanmoins avait pris son état en dégoût le jour où il avait vu donner au neveu d’un ministre le commandement d’un navire auquel il croyait avoir des droits incontestables. Il est juste de dire à la décharge du ministre que le capitaine Dashmore une fois en pleine mer, suivant l’immortel exemple donné par Nelson lui-même, avait toujours tenu fort peu de compte des ordres qu’il avait reçus ; mais cet acte de désobéissance n’avait pas été expié par le capitaine comme il l’avait été par Nelson ; et il aurait dû se trouver fort heureux de n’être pas autrement puni qu’en se voyant frustré dans ses espérances d’avancement ; mais personne ne sait apprécier sa position. Mis à la demi-solde au moment où il faisait un héritage inespéré de quarante ou cinquante mille livres sterling, que lui avait laissées un parent éloigné, le capitaine Dashmore, sous l’influence d’une idée de vengeance, désirait entrer au parlement pour infliger un châtiment oratoire à l’administration.

Quelques heures suffirent à prouver que le capitaine était le plus habile faiseur d’élections du monde. Il est vrai qu’il débitait les plus grandes absurdités qu’on eût jamais entendues sur une place publique ; mais ses plaisanteries étaient si joyeuses, ses manières si gaillardes, ses poumons si solides, qu’il aurait battu tous nos radicaux philosophes et nos démocrates moralistes. En outre, il embrassait toutes les femmes, vieilles ou jeunes, avec l’entrain d’un marin qui vient de passer trois ans sur mer sans voir un seul menton imberbe : il entrait dans toutes les auberges, invitait tous les jours