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datent de loin, sont ineffaçables. » Il piqua son cheval de l’éperon en finissant ces mots, qui furent suivis d’un long silence : mais, à partir de ce moment, Harley parla avec plus de douceur encore à Léonard, et souvent il attachait sur lui des regards d’intérêt et de bonté.

Ils arrivèrent à une maison située au centre de Londres. Un domestique, d’un extérieur singulièrement grave et austère, vint ouvrir la porte ; c’était un homme qui avait passé toute sa vie avec des auteurs. Le pauvre garçon ! Il était déjà prématurément vieux ! Il avait la lèvre plus soucieuse et le front plus important que nous ne saurions l’exprimer.

« M. Norreys est-il chez lui ? demanda Harley.

— Il est chez lui pour ses amis, milord, répondit majestueusement le domestique ; et il traversa le vestibule avec la démarche d’un Dangeau introduisant quelque Montmorency devant Louis XIV.

— Attendez ! conduisez monsieur, je vous prie, dans une autre pièce. Je vais d’abord aller à la bibliothèque ; attendez-moi, Léonard. »

Le domestique fit de la tête un signe affirmatif, et conduisit léonard dans la salle à manger. Puis s’arrêtant devant la porte de la bibliothèque, et prêtant l’oreille comme s’il eût craint de troubler l’inspiration de son maître, il l’ouvrit très-doucement. Mais quel fut son mécontentement lorsqu’il vit Harley passer devant lui et entrer sans façon. La vaste pièce était garnie de livres depuis le parquet jusqu’au plafond. Il y en avait sur toutes les tables et sur toutes les chaises. Harley s’assit sur un in-folio, l’histoire du monde de Raleigh, et s’écria :

« Je vous ai amené un trésor !

— Qu’est-ce donc ? dit Norreys, d’un ton de bonne humeur et en levant les yeux de dessus son pupitre.

— Une intelligence !

— Une intelligence ! répéta vaguement Norreys. La vôtre ?

— Bast ! Non ; moi je n’ai qu’un cœur et une imagination. Écoutez. Vous vous rappelez le jeune homme que vous avez vu lire à l’étalage d’un libraire ? J’ai mis la main dessus pour vous ; vous en ferez un homme. Je prends à son avenir le plus vif intérêt, car je connais quelques personnes de sa famille, et l’une d’elles m’était extrêmement chère. Quant à de l’argent, il n’a pas un penny, et il n’accepterait gratis un shilling ni de vous, ni de moi. Mais il est plein de courage et de bonne volonté : il faut que vous lui trouviez de la besogne. » Harley raconta brièvement à son ami les deux propositions qu’il avait faites à Léonard et le choix de celui-ci.

Cela promet beaucoup pour les lettres ; il faut pour réussir qu’un homme ait une vocation énergique. Je ferai tout ce que vous voudrez. »

Harley se leva vivement, secoua cordialement la main de Norreys, sortit en toute hâte de la chambre et revint avec Léonard.

M. Norreys regarda le jeune homme avec attention ; naturellement plutôt sévère qu’affectueux avec les étrangers, il était néanmoins bon