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jeure de pique, couleur dans laquelle le curé a un singleton et le capitaine deux cartes. Il force la dame du capitaine et gagne la partie d’emblée.

Le curé (jetant au capitaine un regard semblable à celui de Jupiter se préparant à lancer la foudre). « Je suppose que c’est là une nouvelle manière de jouer inventée à Londres ! De mon temps la règle était : sauvez d’abord la partie, ensuite tâches de la gagner.

Le capitaine. Mais cela était impossible, monsieur.

Le curé (éclatant). Impossible ! J’avais deux points dans la main, deux levées sûres, si vous ne me les aviez pas enlevées. C’est monstrueux ! je n’ai de ma vie vu plus imprudent coup d’atout ! » Il saisit les cartes, les étend sur la table, et les lèvres agitées, les mains tremblantes, il essaye de démontrer qu’on aurait pu faire cinq levées, mais ne réussit à en trouver que quatre. Le capitaine sourit d’un air triomphant. Le curé en colère, et non tout à fait convaincu, remêle les cartes, puis se rejetant en arrière pousse un gémissement et s’écrie avec des larmes dans la voix : « Quel cruel coup d’atout ! quelle folie !

Les Hazeldean (en chœur). Ho ! ho ! ho ! Ha ! ha ! ha !… »

Le capitaine, qui ne rit pas cette fois, et qui doit donner les cartes, les bat pour faire la belle avec le soin, l’attention minutieuse d’un Fabius qui va placer ses hommes. Le squire se lève pour allonger un peu les jambes, et, revenant à l’accusation dirigée contre son hospitalité, il crie à sa femme :

« Henriette, écris toi-même demain à Rickeybockey et demande-lui de venir passer deux ou trois jours ici. Vous m’entendez, mistress Dale ?

— Oh ! oui, je vous entends, dit mistress Dale en portant les mains à ses oreilles, reproche indirect à l’adresse du squire qui se permet de parler trop haut : cher monsieur, souvenez-vous que je suis malheureusement très-nerveuse.

— Je vous demande pardon, madame, dit le squire en se tournant vers son fils qui, fatigué des caricatures, avait atteint le grand in-folio de l’histoire du comté, seul livre de la bibliothèque que le squire estimât et qu’il gardait habituellement sous clef dans son cabinet avec des traités d’agriculture et les comptes de son intendant. Mais ce jour-là il avait consenti, malgré lui, à le descendre au salon pour obliger le capitaine Higginbotham. Les Higginbotham, vieille famille saxonne, comme le nom le prouve, avaient autrefois possédé des terres dans ce comté, et le capitaine, quand il était au château d’Hazeldean, avait l’habitude de demander régulièrement l’histoire du comté pour se rafraîchir la vue et renouveler en lui le sentiment de la dignité de ses ancêtres par la lecture du paragraphe suivant : « À gauche du village de Dunder, et agréablement situé dans une vallée, se trouve le château de Botham, résidence de l’ancienne famille de Higginbotham, comme on l’appelle maintenant. D’après les archives du comté et d’après plusieurs anciens actes, il paraît que cette famille se nommait primitivement Higges, jusqu’au moment où elle habita le château de Bo-