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chant : c’était la figure d’un homme sous les vêtements d’un pèlerin enchaînée à la terre par des fils fort petits, mais innombrables : son image, son ombre semblait suivre en se hâtant une avenue sans fin, et au-dessous étaient écrits ces lignes touchantes d’Horace :

Patriæ quis exul
Se quoque fugit ?


L’ameublement de la pièce était extrêmement simple et même pauvre, mais tout y était arrangé de manière à donner à l’ensemble un air de bon goût et d’élégance. Quelques bustes, quelques statuettes, bien qu’achetées à des marchands ambulants, produisaient leur effet classique, on les voyait sortir du milieu de fleurs qui les entouraient ou bien s’appuyer sur de petits treillages d’osier, auxquels se trouvaient attachées des auges en bois pleines de terre, destinées à recevoir des plantes parasites dont les fleurs, aux vives couleurs, contrastaient avec les feuilles épaisses du lierre et donnaient à toute la pièce l’apparence d’un bosquet.

« Oserais-je vous demander la permission ? dit l’Italien… en mettant un doigt sur le cachet de la lettre.

— Oh ! sans doute, » dit Frank avec naïveté.

Riccabocca rompit le cachet, et un léger sourire glissa sur ses lèvres ; puis il détourna un peu la tête, se couvrit le visage de ses mains et parut réfléchir.

« Mistress Hazeldean, dit-il enfin, me fait beaucoup d’honneur ; je n’avais pas reconnu son écriture, sans quoi j’eusse été plus impatient d’ouvrir la lettre. »

Ses yeux noirs regardaient par-dessus les lunettes et dardaient en plein sur le cœur naïf de l’inexpérimenté jeune homme. Le docteur leva le billet et montra l’écriture du doigt.

« C’est l’écriture de ma cousine Jemima, » dit Frank aussi naturellement que si une question lui eût été adressée.

L’Italien sourit : « M. Hazeldean a donc du monde chez lui ? »

— Non, c’est-à-dire, il y a seulement Barney… le capitaine. Il y a rarement beaucoup de monde avant la chasse, ajouta Frank avec un léger soupir ; et alors comme vous le savez, les vacances sont terminées. Pour ma part, je pense que nous devrions entrer en vacances un mois plus tard. »

Le docteur parut rassuré par la première assertion de Frank, et s’asseyant devant sa table, il écrivit sa réponse, non pas promptement, comme nous faisons, nous autres Anglais, mais avec soin et précision, comme un homme accoutumé à peser ses mots, et de cette grande et roide écriture italienne qui donne à celui qui écrit tout le temps de réfléchir. Il ne répondit donc pas d’abord à la remarque de Frank relativement aux vacances, mais il garda le silence jusqu’à ce qu’il eût terminé sa lettre ; puis, il la relut trois fois, la cacheta, après avoir allumé lentement une bougie, et la remettant alors à Frank, il dit :