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midi (comme c’est assez l’habitude dans les campagnes), était plus suivi que celui du matin, et c’était aussi l’habitude de notre curé de garder pour ce service son sermon le plus important.

Le curé Dale, quoique très-savant, n’était ni profond théologien ni archéologue érudit comme nos ministres de la génération actuelle. Je doute fort qu’il eût été capable de passer ce que l’on appellerait maintenant un examen honorable sur les Pères, et quant aux formalités de la rubrique, ce n’est pas lui qui eût jamais divisé une congrégation ou embarrassé un évêque à ce sujet. Le curé Dale n’était pas non plus érudit en fait d’architecture religieuse. Il se souciait peu que les ornements de l’église fussent d’un gothique plus ou moins pur, mais il avait un secret qui est peut-être aussi important que ces subtilités mystérieuses, ce secret c’était de savoir remplir son église ! Même à l’office du matin il ne s’y trouvait pas un banc de vide et à l’office du soir l’église regorgeait de monde.

De nos jours le curé Dale passerait peut-être pour n’avoir qu’une idée mesquine de l’autorité spirituelle de l’Église. Jamais on ne l’avait entendu discuter sur les rapports exacts de l’Église avec l’État… Faisait-elle corps avec l’État ou était-elle au-dessus de l’État ? Avait-elle existé avant la papauté ou avait-elle été formée par elle ? etc., etc. Il s’inquiétait peu de tout cela. Il était cependant parfaitement convaincu du droit qu’a le prêtre d’avertir, de détourner, de persuader, de réprimander. C’était pour l’office du soir qu’il préparait ces sortes de sermons qu’on peut appeler « des sermons directs. » Il préférait l’office du soir pour ces salutaires exhortations, non-seulement parce que les fidèles y étaient plus nombreux, mais encore parce que l’expérience lui avait appris que l’homme qui a dîné écoute, supporte plus aisément une réprimande que l’homme qui est à jeun, et que le cœur est plus facilement touché quand l’estomac est satisfait. Il y avait dans la manière de prêcher du curé Dale un grand fonds de bonté. Il réprimandait d’un ton si paternel qu’il ne blessait jamais personne. Il y mettait tant d’art que le coupable seul sentait à la voix de sa conscience que le sermon s’appliquait à lui. Mais il ne ménageait ni le riche ni le pauvre. Il avertissait le squire, et M. Bullock, le marguillier, avec la même hardiesse qu’Hodge, le laboureur, et Scrub, le journalier. Quant à M. Stirn, il avait prêché pour lui plus souvent que pour qui que ce fût dans la paroisse ; mais Stirn, qui avait assez de bon sens pour le comprendre, n’avait jamais eu assez de vertu pour se corriger.

Dans la circonstance actuelle, le curé, qui avait toujours l’œil sur son troupeau, et qui avait vu avec un profond chagrin ses craintes se réaliser au sujet du rétablissement des ceps, en présence du sourd mécontentement qui animait les paysans, en présence des projets dominateurs et tracassiers qui assombrissaient le caractère si naturellement bienveillant du squire, le curé, dis-je, voyant des signes d’une rupture entre les classes et les avant-coureurs de ces haines implacables entre le riche et le pauvre qui désolent tant de paroisses, ne médita rien moins qu’un grand sermon politique, un sermon