Aller au contenu

Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/168

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


CHAPITRE L.

Nous avons vu le squire Hazeldean, confiant dans le contenu de son portefeuille et dans sa connaissance de la nature mercenaire des étrangères, partir pour sa visite à Béatrix di Negra. Randal, resté seul, réfléchissait avec complaisance aux résultats probables de la brusque négociation de M. Hazeldean, et convaincu qu’une de ses trouées vers la fortune s’éclaircissait de plus en plus, il s’occupait, avec l’infatigable activité d’un fondateur de cités dans un nouveau campement, à élaguer les branches qui encombraient et obscurcissaient les autres.

Pendant ce temps le hasard combattait en sa faveur dans le boudoir de May-Fair. Le squire avait trouvé la marquise chez elle ; il s’était nommé et lui avait brièvement expliqué ce dont il s’agissait. Il lui avait dit qu’elle s’était trompée en croyant prendre dans ses filets un riche héritier ; que, grâce au ciel, il était libre de laisser ses domaines à son charretier si bon lui semblait, mais qu’il était disposé à bien faire les choses et à se montrer libéral, et tout prêt à lui donner la somme qu’elle exigerait pourvu qu’elle lui rendît son fils.

Dans un autre moment Béatrix eût peut-être ri d’un discours si étrange, ou peut-être eût-elle fait éclater le ressentiment d’une patricienne et la fierté d’une femme ; mais elle était abattue, ses nerfs étaient ébranlés ; le sentiment de sa position dégradante, de la dépendance où elle était de son frère, combiné avec la suprême douleur qu’elle avait éprouvée en voyant s’évanouir les rêves qui avaient un instant charmé sa misérable vie, tout se réunissait pour l’accabler. Elle écouta pâle et muette, et le pauvre squire croyait toucher à un résultat favorable lorsqu’elle éclata soudain en bruyants sanglots, et au même moment Frank entra dans le salon. À la vue de son père et de Béatrix en larmes, Frank oublia tout respect filial. Il devint fou de colère à l’insulte faite à la femme qu’il adorait, et qu’en quelques paroles tremblantes elle lui avait expliquée. Le père et le fils échangèrent des paroles blessantes, qui se terminèrent par l’injonction et la menace suivantes de la part du squire.

« Sortez d’ici à l’instant, monsieur ; sortez avec moi, ou aujourd’hui même je vous déshérite. »

La réponse du fils ne s’adressa pas au père ; il se jeta aux genou de Béatrix :

« Pardonnez-lui, dit-il, pardonnez-nous à tous deux.

— Quoi ! vous préférez cette étrangère à moi, à l’héritage d’Hazeldean ! s’écria le squire en frappant du pied.