Aller au contenu

Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/52

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cette colline, et j’aperçus un homme assis parmi les broussailles ; bien que je ne pusse distinguer ses traits, son attitude, sa taille me rappelèrent vivement Riccabocca. Je sortis aussitôt du jardin, et je gravis la colline, mais je ne l’y trouvai plus. Je fis prendre des renseignements chez les marchands du voisinage, et j’appris qu’une famille, composée d’un monsieur, de sa femme et de sa fille, était récemment venue habiter une maison devant laquelle vous avez dû passer pour arriver ici, elle est bâtie un peu en arrière de la route et entourée de murs élevés ; à la vérité, on m’a dit que cette famille était anglaise ; cependant, d’après la description que me fit du gentleman quelqu’un qui l’avait vu, d’après le nom de Richmouth, qui est celui que prennent les nouveaux venus, je ne puis guère douter que cette famille ne soit celle que vous cherchez.

— Et vous n’êtes pas allé vous en assurer ?

— Pardonnez-moi ; mais il était évident que cette famille craignait d’être reconnue ou observée ; le maître était le seul qui se hasardât jamais hors des murs ; tout me prouvait que, quelle qu’en fût la raison, le signor Riccabocca se cachait ; et maintenant que j’ai acquis une certaine expérience de la vie, lorsque je me rappelle le passé, je ne puis m’empêcher de penser que Riccabocca n’était pas ce qu’il paraissait. J’ai donc cru devoir respecter son secret, sans le connaître, et j’ai préféré guetter l’occasion de le rencontrer dans une de ses promenades.

— Vous avez bien fait, mon cher Léonard ; mais j’ai pour chercher à revoir mon ancien ami des motifs tels, qu’ils doivent l’emporter sur des scrupules de délicatesse, et je vais aller à l’instant frapper à la porte de cette maison.

— Vous me direz, milord, si j’avais deviné juste ?

— J’espère que cela me sera permis. Restez, je vous prie, chez vous jusqu’à ce que je revienne. Et avant que je ne vous quitte permettez-moi encore une question. Vous faites des conjectures au sujet de Riccabocca parce qu’il a changé de nom, pourquoi avez-vous caché le vôtre ?

— Je désirais n’avoir d’autre nom, reprit Léonard en rougissant, que celui que je me ferais moi-même.

— C’est un orgueil que je comprends. Mais quelle raison avez-vous eue d’adopter le nom bizarre d’Oran ? »

Léonard rougit de nouveau. « Milord, dit-il, c’est une anagramme.

— Ah !

— À une époque où ma soif de connaître et d’apprendre était sur le point de m’égarer, de me perdre peut-être, le hasard mit entre mes mains des poésies qui eurent sur mon esprit une puissante influence, qui me firent pour ainsi dire respirer un air plus pur, et j’appris que ces poésies étaient l’œuvre d’une femme douée de beauté et de génie, morte dans la fleur de la jeunesse, qui était ma parente, et qu’on appelait familièrement Nora.

— Ah ! fit encore une fois L’Estrange, et son bras s’appuya plus lourdement sur celui de Léonard.