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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/53

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— De sorte, continua le jeune auteur en hésitant, que je me promis, si j’obtenais un jour quelque célébrité, de la placer sous ce nom de Nora, sous le nom de celle à qui la mort avait ravi la gloire qui fût certainement devenue son partage, de celle qui… »

Léonard s’arrêta ému et agité.

Harley ne l’était pas moins ; mais paraissant obéir à une soudaine impulsion, le soldat baissant sa noble tête baisa le front du poète ; puis il se dirigea rapidement vers la grille, sauta sur son cheval et disparut


CHAPITRE XV.

Lord L’Estrange ne s’arrêta pas à la maison de Riccabocca. Il était sous l’influence d’un souvenir trop cher et trop douloureux pour songer en ce moment aux devoirs de l’amitié. Il s’élança dans la campagne et il serait impossible de décrire les sentiments qui agitèrent, pendant cette course violente, un cœur doué d’une sensibilité si vive et d’une si grande ténacité dans toutes ses affections. Lorsque rappelé à la pensée de l’Italien il se dirigea de nouveau vers Norwood, le pas alangui de sa monture témoignait de sa propre fatigue ; un profond abattement avait succédé à son agitation fiévreuse. « C’est en vain, murmura-t-il, que je voudrais m’arracher au souvenir de celle qui n’est plus ! Cependant je suis maintenant fiancé à une autre, mais malgré toutes ses vertus ce n’est pas elle qui… » Il s’arrêta, se reprochant cette pensée. « Il est trop tard ! Il ne me reste plus qu’à travailler au bonheur de celle que j’ai associée à ma vie ; mais… » et il soupira profondément. En approchant de la maison de Riccabocca, il laissa son cheval à une petite auberge et se dirigea à pied vers le triste bâtiment carré que Léonard lui avait indiqué comme la demeure de l’exilé. Un temps assez long s’écoula avant qu’on vînt lui ouvrir ; ce ne fut que lorsqu’il eut sonné trois fois qu’un pas lourd fit crier le sable du jardin ; le guichet fut ensuite ouvert à demi, et une voix demanda en mauvais anglais : « Qui est là ?

— Lord L’Estrange, et si je ne me trompe pas quant à la demeure de celui que je cherche, ce nom me fera admettre sur-le-champ. »

À ces mots la porte s’ouvrit aussi rapidement que la caverne magique lorsqu’on prononçait le : Sésame ouvre-toi ; et Giacomo prêt à pleurer de joie s’écria en Italien : « Le bon seigneur ! Bienheureux saint Jacques, vous m’avez donc enfin entendu ! Nous voici maintenant en sûreté. » Et laissant tomber l’espingole dont il avait pris soin de se munir, il porta à ses lèvres la main d’Harley, suivant la coutume affectueuse de son pays.

« Et le padrone ? dit Harley en entrant dans la cour.