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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/66

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que bas ; mais, bien que visiblement embarrassée, elle répondit distinctement :

« Parce que l’Angleterre offre la plus noble carrière aux nobles esprits. »

Harley tressaillit et répliqua avec un léger soupir :

« À votre âge je parlais comme vous ; mais notre Angleterre est si encombrée de nobles esprits, qu’ils s’y pressent et s’y coudoient, de telle sorte que la carrière n’est plus qu’un nuage de poussière.

— C’est ainsi, dit-on, qu’apparaît la bataille au simple soldat, mais non au général.

— Vous avez lu de bonnes descriptions de batailles, à ce que je vois. »

Mistress Riccabocca, qui prit cette remarque pour une sorte de condamnation des études de sa belle-fille, vint aussitôt au secours de Violante.

« Son père, dit-elle, lui a fait lire l’histoire de l’Italie, et je crois qu’elle est remplie de batailles.

Harley. Toutes les histoires en sont pleines, et toutes les femmes aiment la guerre et les guerriers. Je me demande pourquoi ?

Violante (se tournant vers Hélène et parlant très-bas, résolue à n’être pas cette fois entendue d’Harley). Nous savons bien pourquoi, nous, n’est-ce pas ?

Harley (qui a tout entendu). Si vous le savez, Hélène, dites-le-moi, je vous en prie.

Hélène (secouant sa jolie tête et répondant avec plus de gaieté qu’à l’ordinaire). Mais, moi, je n’aime ni la guerre ni les guerriers.

Harley. C’est donc à vous que j’en appelle, impitoyable Bellone. Cela vient-il de la cruauté naturelle aux femmes ?

Violante (avec un rire doux et harmonieux). Cela vient, je crois, de deux penchants qui leur sont beaucoup plus naturels.

Harley. Vous piquez ma curiosité. De quels penchants voulez-vous parler ?

Violante. De la pitié et de l’admiration. Nous plaignons les vaincus et nous admirons les vainqueurs. »

Harley s’inclina et demeura silencieux.

Lady Lansmere avait suspendu sa conversation avec Riccabocca pour écouter ce dialogue.

« Charmant ! cria-t-elle. Vous m’avez expliqué ce que je me suis souvent demandé. Ah ! Harley, je suis bien aise de vous voir battu ; tous n’avez rien à répondre à cela ?

— Non ; je m’avoue volontiers vaincu, et trop heureux d’avoir droit à la pitié de la signorina, puisque mon épée est maintenant pendue à la muraille et que je ne puis plus prétendre à son admiration. »

Il se leva et alla vers la fenêtre :

« Mais j’aperçois un adversaire plus formidable que moi pour ma belle antagoniste ; un adversaire qui a pour mission spéciale de substituer d’autres aventures à celles des camps et des sièges.