Page:Bulwer-Lytton - Pelham, 1874, tome I.djvu/105

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chambre, voyez de suite comme toutes les personnes de son sexe paraissent troublées, inquiètes, malheureuses ! Pour elles, il n’y a plus je ne dirai pas de joie, mais de tranquillité, et si elles pouvaient anéantir l’auteur involontaire de leur chagrin, je crois fort qu’il n’y a pas de tolérance chrétienne qui pût arrêter les effets de cette animosité poussée à l’extrême.

Pour un fat il n’y a pas de pardon, pour une coquette pas de pardon. Ils sont, pour ainsi dire, des hérétiques de la société, il n’y a pas de crime horrible qu’on ne leur impute ; ils n’ont pas la même religion que les autres, ils se font un Dieu de leur propre vanité, et par là ils offensent la vanité orthodoxe de tous les autres. La bigoterie allume contre eux le bûcher de l’auto-da-fe en criant au scandale ! Qu’y a-t-il, hélas, de plus implacable que la rage de la vanité ? Quoi de plus actif que ses persécutions ? Enlevez à un homme sa fortune, sa maison, sa réputation, mais flattez sa vanité en lui ravissant tour à tour chaque dépouille, et il vous pardonnera. Comblez-le de bienfaits, rassasiez-le de jouissances, mais irritez son amour-propre, et de l’homme le meilleur, vous ferez un ingrat. Il vous fera une piqûre mortelle s’il le peut. Vous ne pouvez pas vous en fâcher, c’est vous-même qui en avez distillé le venin. Aussi ne comptez jamais sur la reconnaissance de celui que vous obligez. Il n’y a qu’un esprit élevé pour qui la reconnaissance ne soit point un sentiment gênant. Si vous voulez avoir du plaisir, vous en trouverez plus à recevoir, à solliciter même des faveurs, qu’à en accorder ; car la vanité de celui qui oblige est toujours flattée, celle de l’obligé l’est rarement.

Mais c’est là une digression étrangère à notre sujet ; retournons à notre récit. J’avais, depuis quelque temps, très-peu fréquenté les Anglais. Les lettres d’introduction de ma mère m’avaient ouvert les portes des meilleures maisons de France ; et c’est là que je passais toutes mes soirées. Hélas ! Quel heureux temps que celui où ma voiture m’attendait à la porte du Rocher de Cancale, pour me conduire d’une visite à l’autre ; et comme j’en variais la nature et les degrés suivant mon caprice ! Tantôt,