Page:Bulwer-Lytton - Pelham, 1874, tome I.djvu/106

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c’étaient les brillantes soirées de madame de ***, tantôt le troisième étage de quelque beauté moins illustre qui présidait à la dissipation et à l’écarté ; tantôt les conversations littéraires de la duchesse de S*** ou du vicomte de *** et puis l’excitation fébrile de la maison de jeu. Je passais de l’un à l’autre, avec cet appétit pour le plaisir, que la variété entretient et conserve. Jamais de désenchantement, toujours le même entrain joyeux. Plein de cette santé qui supporte et de cette jeunesse qui colore tous les excès et toutes les excitations, je buvais d’une lèvre avide à cette source de plaisirs enchanteurs que m’offrait la capitale.

J’ai déjà parlé de la duchesse de Perpignan, mais je n’en ai dit que quelques mots ; je pense qu’il est nécessaire que je fasse mieux connaître ce personnage. Depuis le soir où je l’avais rencontrée à l’ambassade, je lui avais fait une cour assidue. Je découvris bientôt qu’elle avait une espèce de liaison assez singulière avec l’un des attachés, un petit monsieur mal fait, les épaules en l’air, la face pâle, qui portait un habit bleu et un gilet chamois, écrivait de mauvais vers, et se croyait beau. Tout Paris disait qu’elle était éprise à l’excès de ce jeune homme. Quant à moi, je ne la connaissais pas depuis quatre jours, que j’avais découvert ceci, elle ne pouvait s’éprendre à l’excès que de deux choses : des pâtés aux huîtres et du Corsaire de lord Byron. Son esprit était le plus merveilleux mélange qu’on pût voir, de sentiment et de sensualité. Dans ses amours c’était une vraie Lucrèce ; dans son épicuréisme, elle eût rendu des points à Apicius lui-même. Elle aimait les soupirs, mais elle adorait les soupers. Elle était femme à tout sacrifier à son amant, excepté son dîner. L’attaché eut bientôt une querelle avec elle, et je fus installé dans les honneurs platoniques de sa place.

D’abord, j’avoue que je fus flatté d’avoir fixé son choix, et quoiqu’elle fût terriblement exigeante en fait de petits soins, je parvins à conserver son affection, et ce qu’il y a de plus étonnant, la mienne aussi, pendant un mois presque entier. Ce qui me refroidit, ce fut l’événement suivant :

J’étais un soir dans son boudoir, quand sa femme de chambre vint nous dire que le duc arrivait. Malgré l’inno-