Page:Bulwer-Lytton - Pelham, 1874, tome I.djvu/118

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de ce que vos hommes de lettres sont toujours en même temps hommes du monde. Aussi leurs remarques rapides sont-elles destinées à s’imprimer dans l’esprit aussi bien que dans les livres. Leurs observations sont fines et revêtues d’une forme gracieuse, mais il est bon de remarquer que la même cause qui fait l’éclat d’un aphorisme, l’empêche d’atteindre à la profondeur. Ces gens du monde littérateurs ont un grand tact pour observer, mais ils n’ont pas la patience, ni peut-être le temps, de se livrer à des recherches suivies. Ils font des maximes, mais ils ne vous laissent jamais voir par quelle suite de raisonnements ils y sont arrivés. Aussi sont-ils plus brillants que vrais. Un écrivain anglais n’osera presque jamais faire une maxime qui renferme peut-être en deux lignes un des plus importants problèmes de la morale, sans apporter à l’appui plusieurs pages d’explications. Un moraliste français abandonne une maxime complètement à elle-même. Il ne vous dit ni comment il est arrivé à ce raisonnement, ni quelle en est la conclusion ; le plus fou souvent est le plus satisfait ; c’est ce qui fait que vos raisonneurs, s’ils sont moins ennuyeux que les Anglais, sont par contre plus dangereux et doivent être regardés comme des modèles d’élégance, plutôt que de réflexion. Un homme apprendra à penser avec vos écrivains, mais il apprendra à penser juste avec les nôtres. Maintes observations de La Bruyère et de La Rochefoucault, de ce dernier surtout, ont passé pour vraies simplement parce qu’elles étaient fines. Elles ont exactement le même mérite que ces jolis vers de Corneille qui sont, permettez-moi de vous le dire avec éloge, si français :

Ma plus douce espérance est de perdre l’espoir. »

Le marquis profita du silence qui suivit la boutade de Vincent, pour quitter la table ; à l’exception de Vincent qui prit congé, tout le monde passa au salon. « Qui est cet homme-là ? dit l’un. — Comme il est épris de lui-même, comme il est niais ! cria un autre. — Comme il est laid ! dit un troisième. Quel goût en littérature, quel bavard, quel esprit superficiel, et quelle assurance ! il ne vaut pas la peine qu’on lui