Page:Bulwer-Lytton - Pelham, 1874, tome I.djvu/142

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tout en faveur d’un bon mot) se mit à rire, salua, et se dérangea. Vincent se faufila et me rejoignit en disant :

« Fortiaque adversis opponite pectora rebus. »

Cependant je cherchais des yeux les objets de ma poursuite ; à ma grande surprise, je ne les apercevais pas. « Ils sont peut-être dans l’autre pièce, » me dis-je, et je passai de ce côté. Le souper était fini et une vieille bonne était tranquillement occupée à s’administrer à elle-même quelques friandises. Il n’y avait pas d’autre trace d’êtres humains (et encore peut-on dire qu’une vieille femme soit un être humain). J’étais fort étonné de ne pas voir Warburton et son compagnon. J’entrai dans la salle de jeu encore une fois, je regardai dans tous les coins, j’examinai tous les visages, en vain. Désappointé et vexé de cette poursuite inutile, qui ne m’avait pourtant pas fait perdre grand’chose, je pris le bras de Vincent et nous sortîmes.

Je passai la matinée suivante avec madame d’Anville. Une Française se console facilement de la perte d’un amant — elle le convertit en un ami, et elle pense (avec raison) qu’elle gagne au change. Nous mîmes nos regrets en maximes et nos adieux en antithèses. Ah ! c’est une chose délicieuse que de boire avec Alcidonis (dans le conte de Marmontel) de la liqueur de la fiole rose, et de jouer avec la fantaisie au lieu de s’abîmer dans sa passion comme un jeune fou. Il y a un temps où le cœur déborde de tendresse et, comme nos vices ainsi que nos vertus découlent de nos passions, il y a peut-être plus à espérer qu’à craindre pour l’avenir, de cet excès d’abondance. C’est le temps où l’attrait du plaisir peut faire commettre des fautes, mais par étourderie et non par calcul ; et l’amour, voltigeant au milieu des fleurs, butine son miel sans s’armer de son aiguillon. Ah ! l’heureux temps, admirablement dépeint par ce poète qui sait si bien faire passer le sentiment dans les mots !

« Le destin ne t’a point assombri, l’espoir n’a point fait épanouir tes fleurs pour qu’elles fussent aussitôt fanées, tu ne connais pas ces terreurs cruelles qui projettent leur ombre sur la lumière de nos dernières années. »