Page:Bulwer-Lytton - Pelham, 1874, tome I.djvu/148

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et je parus de plus en plus occupé à dire de jolies choses à ma compatissante voisine. Cependant, malgré toute ma dissimulation, il me fut impossible de soutenir plus de quelques minutes, une conversation dont l’objet était si complètement étranger à mes préoccupations réelles. Ce fut avec un véritable plaisir que je vis ma compagne, blessée de mon indifférence, se lever et me laisser seul avec mes pensées.

Qu’est-ce que pouvait gagner Warburton (à supposer que ce fût bien la personne que je croyais) à se déguiser ainsi qu’il faisait ? Il était trop riche pour chercher un profit dans ses gains à la table de jeu, quelle que fût la somme qu’il gagnât à Tyrrel, et trop au-dessus de Thornton dans l’échelle sociale, pour tirer aucun plaisir ni aucun avantage de ses relations avec un pareil personnage. Les sombres menaces de vengeance dans le Jardin des Plantes et son allusion aux deux cents livres que Tyrrel possédait, me mettaient, à la vérité, sur la voie de son but réel. Mais alors, pourquoi ce déguisement ? Avait-il été connu de Tyrrel auparavant, sous sa figure naturelle, et s’était-il passé, entre eux, quelque chose qui rendît nécessaire aujourd’hui cette précaution ? Cela paraissait assez probable ; mais Thornton était-il dans le secret ? Et s’il s’agissait d’une vengeance, cet homme de bas étage était-il son complice ? Ou bien, ce qui était plus probable, le traître ne comptait-il pas les jouer l’un et l’autre ? Quant à Tyrrel, ses propres projets sur Warburton étaient suffisants pour empêcher qu’on ne le plaignît de tomber dans l’abîme qu’il avait creusé pour les autres.

Cependant le temps se passait, il se faisait tard et le plus grand nombre des invités était sorti. Je ne pouvais m’arracher de ce lieu ; je jetais de temps en temps un regard sur la porte de la chambre du fond, avec une sensation d’anxiété indicible. Je désirais, et en même temps je craignais de la voir s’ouvrir. J’étais ému comme si ma propre destinée était en quelque chose mêlée à ce qui se passait là, dans cette chambre, et je ne pouvais me décider à partir sans savoir comment cela avait fini.

Enfin la porte s’ouvrit ; Tyrrel sortit le premier ; il était pâle, ses joues étaient enfoncées ; cela pouvait s’expliquer suffisamment par les émotions qu’il avait dû éprouver pen-