Page:Bulwer-Lytton - Pelham, 1874, tome I.djvu/157

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nom était associé à tous les triomphes que peut procurer l’audace, cette grande vertu du beau monde ; enfin l’illustre, l’immortel Russelton en personne était là, debout devant moi ! Je reconnus en lui un esprit semblable, mais supérieur au mien, et je m’inclinai devant lui avec un sentiment de profonde vénération que nul mortel ne m’inspira jamais au même degré.

M. Russelton sembla se plaire aux marques évidentes de mon respect, et me rendit mon salut avec une dignité moqueuse qui m’enchanta. Il m’offrit un de ses bras, je le saisis avec transport, et nous continuâmes tous trois ensemble notre promenade.

« Ainsi, dit sir Willoughby, ainsi, Russelton, vous vous plaisez ici ? Vous avez de quoi vous amuser, je suppose ; il ne manque pas d’Anglais, vous n’avez pas oublié l’art de persiffler les gens, n’est-ce pas, mon vieux camarade ?

— Si je l’avais jamais oublié, dit M. Russelton lentement, la seule vue de sir Willoughby Townsend suffirait pour m’en rafraîchir la mémoire. Oui, continua le vénérable débris, après un instant de silence ; oui j’aime assez cette résidence ; j’y jouis d’une bonne conscience et d’une chemise blanche ; qu’est-ce qu’un homme peut désirer de plus ? J’ai fait ici la connaissance d’un perroquet apprivoisé auquel j’ai appris à dire, toutes les fois qu’il passe devant lui un Anglais ridicule avec un cou roide et une démarche nonchalante : Vrai Breton, vrai Breton. Je prends soin de ma santé et je réfléchis à la vieillesse. J’ai lu Gil Blas, et les Devoirs de l’homme ; en somme, tout en éduquant mon perroquet et en m’instruisant moi-même, je crois que je passe mon temps d’une façon aussi louable et aussi décente que l’évêque de Winchester, ou mylord de A*** lui-même. Vous arrivez de Paris, je suppose, monsieur Pelham ?

— Je l’ai quitté hier.

— Il est rempli sans doute de ces horribles Anglais, qui vont fourrer leurs grands chapeaux et leurs petits esprits dans toutes les boutiques du Palais-Royal, pour faire les doux yeux aux demoiselles de comptoir, et achever d’apprendre le français à force de marchander et de se disputer