Page:Bulwer-Lytton - Pelham, 1874, tome I.djvu/158

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pour un sou. Oh ! les monstres ! j’en ai mal au cœur rien que d’y penser ; l’autre jour, l’un d’eux s’est mis à m’accoster et à me parler patriotisme et cochon de lait ; c’était à vous donner la fièvre. Heureusement que j’étais près de chez moi, je n’ai eu que le temps de rentrer au plus vite, sans cela j’en mourais. Jugez un peu de ce qui serait arrivé si je m’étais trouvé loin de chez moi quand il m’a accosté, à mon âge je n’aurais jamais pu supporter un pareil choc, j’en aurais eu une attaque dont je ne me serais pas relevé. J’aime à croire, du moins, qu’ils auraient bien voulu indiquer la cause de ma mort sur mon épitaphe : Ci-gît John Russelton, esq., mort d’un Anglais, à l’âge de…, etc. Peuh ! Si vous n’avez pas d’engagement, monsieur Pelham, je vous prierai de vouloir bien dîner aujourd’hui avec moi ; Willoughby et son parapluie seront de la partie.

— Volontiers, lui dis-je, quoique j’eusse formé le dessein de faire des observations sur les hommes et les choses à la table d’hôte de mon hôtel.

— En vérité, je suis tout à fait désolé de vous priver d’un si grand divertissement, répliqua M. Russelton. Chez moi vous ne trouverez que du Laffite passable et un plat exotique que ma cuisinière appelle une côtelette de mouton. Je suis curieux de voir comment elle s’y prendra aujourd’hui pour varier la monotonie du mouton. La première fois que je commandai une côtelette, je pensais avoir suffisamment expliqué ce que je voulais, c’est-à-dire un morceau de viande d’un côté et un gril de l’autre, à sept heures je vis venir une côtelette panée ! Faute de mieux, il me fallut avaler cette composition, noyée dans une sauce détestable ; si bien que je dormis une heure à peine dans toute la nuit, et que j’en eus le cauchemar. Le lendemain, je pensais qu’il n’y aurait plus de méprise ; la sauce était absolument prohibée ; tous les ingrédients étaient sévèrement et particulièrement interdits ; il était convenu que la côtelette serait cuite au naturel, dans son jus ; j’ôte le couvercle et que vois-je ? une poitrine de mouton montrant ses os et ses cartilages comme le torse du gladiateur mourant. Je ne pus résister à ce coup ; je n’avais plus la force de me mettre en colère, je me mis à pleurer sur ma chaise. Au-