Page:Bulwer-Lytton - Pelham, 1874, tome I.djvu/190

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auprès de mon oncle. Il ne pourra trouver mauvais que je laisse là pour vous ces livres ennuyeux.

C’est une affaire faite, répliqua ma mère, et je vais parler moi-même à votre oncle. »

En conséquence, déclaration fut faite de nos intentions de départ. Lord Glenmorris reçut cette ouverture avec une parfaite indifférence en ce qui concernait ma mère ; mais il exprima le chagrin qu’il éprouvait de se séparer de moi sitôt. Néanmoins quand il vit que j’étais plutôt honoré que satisfait de son insistance pour me retenir, il se désista avec une délicatesse dont je fus enchanté.

Le jour de notre départ arriva. La voiture était à la porte, les bagages dans le vestibule, le déjeuner sur la table, j’avais mon manteau, mon oncle était dans son fauteuil : « Mon cher enfant, me dit-il, j’espère que nous nous reverrons bientôt ; vous avez des qualités qui vous permettront de faire beaucoup de bien à vos semblables ; mais vous aimez le monde et, quoique vous n’ayez pas d’aversion pour le travail, vous êtes porté au plaisir, et vous risquez de gâter les dons naturels que vous possédez. Après tout vous êtes instruit, aujourd’hui, des choses de la vie publique aussi bien que de celles de la vie privée, vous saisissez la différence qu’il y a entre le bien et le mal. Mais sachez que si, dans la science de la politique, les règles que vous avez apprises sont absolues et immuables, dans l’application elles doivent varier suivant le temps et les circonstances. Il faut savoir plier, ajourner et même abandonner fréquemment ces doctrines invariables et d’une vérité absolue, mais incompatibles avec l’inconstance des temps. Il faut quelquefois même renoncer à l’espoir incertain d’obtenir un grand bien, pour la certitude d’en réaliser un moindre. Mais dans la science de la morale privée, nous n’avons pas le droit de dévier d’un iota de notre règle de conduite. Ni le temps ni les circonstances ne sauraient nous excuser d’en changer. L’honnêteté stricte n’admet pas de variation, la probité ne souffre pas l’ombre d’un détour. Nous devons marcher droit devant nous sans faiblesse et sans hésitation, persuadés que le chemin de l’honneur est comme ce pont qui conduit de la terre au ciel dans la