Page:Bulwer-Lytton - Pelham, 1874, tome I.djvu/194

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mettait jamais un sourire, on nous apporte des lions des environs tous les jours.

— Combien les payez vous, lui dis-je ?

— Trois shillings et demi la pièce, environ, monsieur.

— Hum ! Les marchés d’Afrique sont donc encombrés, me dis-je ! Dites-moi, comment servez-vous cet animal ?

— Farci et rôti, avec une couche de gelée de groseilles.

— Quoi ! comme un lièvre ?

— Un lion c’est un lièvre, monsieur.

— Quoi !

— Oui, monsieur, c’est un lièvre. Mais nous lui donnons le nom de lion, à cause de la loi sur la chasse.

— Voilà une belle découverte, me dis-je, ils ont inventé une nouvelle langue à Cheltenham, il n’y a rien de tel que de voyager pour se former l’esprit. Et les oiseaux, lui dis-je, ce ne sont ni des colibris ni des autruches, je suppose.

— Non, monsieur, ce sont des perdrix.

— C’est bien, alors, donnez-moi de la soupe, une côtelette et un oiseau, comme vous dites, et faites vite.

— Monsieur va être servi à la minute, » répondit le pompeux garçon, et là-dessus il disparut.

S’il y a, dans le cours de cette vie si variée et si agréable, quoique les jeunes gens et les jeunes filles l’accusent, en vers, de monotonie et de tristesse, un quart d’heure réellement désagréable, c’est celui qui précède le dîner lorsqu’on est en voyage, et à l’auberge. Néanmoins grâce à la philosophie et à la fenêtre, je trouvai moyen d’adoucir les ennuis de ce quart d’heure, et quoique je fusse à moitié mort de faim, j’affectai une superbe indifférence, même, lorsqu’à la fin, mon dîner fut servi. Je me mis à jouer pendant toute une minute avec ma serviette, avant d’attaquer la soupe, et je finis par verser dans mon assiette, de ce breuvage alimentaire, avec une lenteur et une dignité qui ne pouvaient manquer de me gagner le cœur du solennel garçon. La soupe valait un peu mieux que de l’eau chaude, et la côtelette de mouton à la sauce, l’emportait un peu sur un morceau de cuir au vinaigre. Quoi qu’il en soit, je l’attaquai avec la vigueur d’un Irlandais, et je l’arrosai du plus détestable liquide qu’on ait jamais décoré du venera-