Page:Bulwer-Lytton - Pelham, 1874, tome I.djvu/211

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que vous avez eues pour moi, dans un moment où je n’étais guère en état de vous exprimer ma reconnaissance. Je serai très-fier de pouvoir cultiver votre intimité. »

Je lui répondis sur le même ton, et dans le cours de la conversation je trouvai moyen de le charmer si bien qu’il consentit à passer le reste du jour avec moi. Nous commandâmes nos chevaux pour trois heures, notre dîner pour sept et, en attendant qu’on sellât nos montures, je le quittai pour lui donner le loisir de faire sa toilette.

À la promenade nous ne parlâmes guère que de généralités, des différences nombreuses qui existaient entre la France et l’Angleterre, des vices, des femmes, de la politique, de tout, excepté des évènements qui avaient été la cause première de nos relations. Ses remarques indiquaient un esprit vigoureux, mal réglé, et qui mettait l’expérience à la place du raisonnement. Il y avait un tel relâchement dans ses principes et une telle licence dans ses opinions que j’en fus effrayé (et pourtant j’avais vu des roués de toutes les couleurs). Sa philosophie consistait à considérer comme la première règle du sage, le mépris de toute chose. Il parlait des hommes avec l’amertume de la haine, et des femmes avec la légèreté du dédain. Il avait appris de la France le libertinage, moins l’élégance qui le pare ; si ses doctrines étaient basses, le langage dont il les revêtait était plus vulgaire encore. Et quant à ce principe qui fait la moralité des classes élevées, et qu’un scélérat même est obligé de respecter en paroles, à cette religion qui ne trouve point de persifleurs, à ce code qui n’a point d’adversaires, l’honneur en un mot, le mobile de la société dans laquelle nous vivons, ne lui paraissait être qu’une autorité dérisoire. La crédulité des esprits romantiques et l’inexpérience des jeunes gens pouvaient seules s’y laisser prendre.

En somme, il me parut que c’était un homme hardi et méchant, ayant tout juste assez d’intelligence pour arriver à être un malhonnête homme, mais pas assez pour s’apercevoir que c’était le plus mauvais parti qu’il pût prendre dans son intérêt. Il avait juste assez d’audace pour être indifférent aux dangers que le crime fait courir, mais trop