Page:Bulwer-Lytton - Pelham, 1874, tome I.djvu/214

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art de donner de l’intérêt et de la force à ces sentiments ou à ces sujets qui n’ont pour eux ni la nouveauté de l’invention ni l’élégance des ornements, je n’en connais aucun qui égale lord Byron ; c’est là certainement le mérite principal de ce poète extraordinaire. Examinez Childe-Harold avec soin, et vous serez surpris de découvrir combien il y a peu de profondeur réelle ou de piquante nouveauté dans les réflexions qui semblent les plus profondes et les plus neuves. Vous êtes enchaîné par la beauté vague mais puissante du style, et par le cachet profond d’originalité qui y est partout imprimé. Semblable à l’oracle de Dodone, il fait des forêts ses tablettes, et il écrit ses inspirations sur des feuilles que l’arbre a laissé tomber de ses branches, mais vous ne sauriez dire où est la source de cette inspiration ; ce n’est ni la vérité ni la beauté de ses idées que vous admirez, même quand vous vous y laissez prendre ; non, c’est seulement le mystère dont il les accompagne.

— Pardon, lui dis-je, ne croyez-vous pas qu’une des causes de cette inspiration dont vous parlez et qui ne paraît être autre chose qu’une méthode rêveuse d’exprimer les choses, même les plus indifférentes, c’est l’isolement dans lequel vivaient les poètes et les philosophes de l’antiquité ? Je pense (quoique je n’aie pas votre talent de citation) que Cicéron appelle la contemplation de la nature, la pâture de l’esprit ; en effet l’esprit confiné par le fait de la solitude, dans la contemplation d’un petit nombre d’objets, médite plus profondément sur ceux qu’il embrasse. L’habitude de cette méditation pénètre et transforme tout le système, et tout ce qui en émane ensuite prend cette teinte contemplative et rêveuse dont vous parliez tout à l’heure.

— C’est merveilleux ! s’écria Vincent, et depuis quand avez-vous appris à lire Cicéron et à disserter sur l’esprit ?

— Ah ! dis-je, je suis peut-être moins ignorant que je ne fais semblant de le paraître ; il entre dans mes vues d’être aujourd’hui un dandy, plus tard qui sait si je n’aspirerai pas à être un orateur, un bel esprit, un savant, ou un Vincent. Vous verrez alors qu’il y a eu dans ma vie par ci par là quelques quarts d’heure employés d’une manière plus profitable que vous ne croyez. »