Page:Bulwer-Lytton - Pelham, 1874, tome I.djvu/235

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dans les superstitions de certains pays, une mystérieuse communion de l’âme avec les habitants d’un autre monde. Parfois il sortait brusquement de son extase et reprenait la conversation où il l’avait laissée, sans paraître soupçonner le long temps qui s’était écoulé pendant sa rêverie. D’autres fois il se levait lentement et se retirait dans son appartement qu’il ne quittait plus de toute la journée.

Il faut bien que le lecteur sache qu’il n’y avait rien d’affecté ni d’artificiel dans ces absences, quelle qu’en fût la nature. Il n’y avait rien là qui ressemblât à ces effets dramatiques et à ces tressaillements subits dont font un si fréquent usage les jeunes gens amoureux de Lara et de lord Byron. Personne n’était plus éloigné que lui de l’afféterie. L’ouvrage qu’il avait publié et qui était une histoire singulière, sauvage, mélange de passion et de raison, était trop original ou du moins trop abstrait pour avoir beaucoup de succès auprès des lecteurs ordinaires de romans.

Le livre n’eut donc que peu de popularité par lui-même, mais il valut à son auteur une grande réputation. Tous ceux qui l’avaient lu se sentaient pris d’un désir vague et indéfinissable de voir et de connaître l’homme qui avait composé un si singulier ouvrage.

Il était le premier à rire de l’intérêt qu’il inspirait et à dérouter ses admirateurs. Il fuyait les manifestations enthousiastes et sympathiques. Quand il se voyait entouré d’un cercle de gens avides de recueillir les paroles tombées d’une si belle bouche, et d’entrer en communication avec un esprit si bizarre et si rempli d’imagination, il prenait plaisir à exprimer des sentiments tout à fait différents de ceux qu’il avait montrés dans son livre, et à détruire ainsi lui-même l’effet qu’il avait produit. Mais il ne s’exposait que rarement à ces « épreuves d’un auteur. » Il ne se montrait guère que chez lady Roseville ; encore se passait-il parfois une semaine sans qu’il y parût. Solitaire, bizarre dans ses habitudes et son caractère, il vivait au milieu du monde comme un homme occupé d’un objet qui n’intéresse que lui ; et son existence n’avait rien de commun avec celle de ses semblables. Il affichait un grand luxe qui n’était point dans ses goûts. Sa table gémissait sous le poids