Page:Bulwer-Lytton - Pelham, 1874, tome I.djvu/236

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d’une magnifique vaisselle plate trop belle même pour l’ordinaire d’un prince, mais cette vue ne lui causait aucun plaisir. Ses vins, ses mets, étaient exquis, mais il y goûtait à peine ; et, ce qui paraîtra une singulière inconséquence, il avait horreur de l’ostentation. Il admettait peu de gens dans son intimité, et nul n’y avait pénétré plus avant que moi. Je ne vis jamais plus de trois personnes à sa table. Son goût pour les arts, son amour de la littérature, ses efforts pour arriver à la réputation ne semblaient être, comme il le disait lui-même, que les distractions d’un homme qui cherche à oublier et dont l’esprit est sans cesse assiégé par un souvenir qui l’obsède.

« Je plains cet homme encore plus que je ne l’admire, me dit Vincent un soir que nous revenions de chez Glanville. Il est atteint de la maladie nullâ medicabilis herbâ. Que ce soit le passé ou le présent qui l’afflige, que ce soit le souvenir des maux passés, ou la satiété des biens présents, toujours est-il qu’il a adopté la plus triste de toutes les philosophies. Il ne rejette point les agréments de la vie, il s’en entoure même, mais comme une pierre qui se couvre de mousse, et qui reste sèche, dure, insensible à la fraîcheur de la douce verdure qui l’entoure. De même qu’un cercle ne peut toucher un autre cercle qu’en un seul point, ainsi chaque chose qui s’offre à lui de quelque côté qu’elle vienne et à quelque partie de son âme qu’elle s’adresse, ne le touche que par un côté, qui est la blessure de son chagrin. Que ce soit l’oblivio ou l’otium qu’il cherche, partout il trouve qu’il lui manque un trésor : — Nec gemmis neque purpura venale nec auro. »