Page:Bulwer-Lytton - Pelham, 1874, tome I.djvu/252

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veux vous décrire. Vous voyez ce gros homme de moyenne taille qui louche un peu et qui a une physionomie inquiète, fourbe et rusée ?

— Celui qui a une culotte de Casimir et une jaquette verte ? lui dis-je.

— Celui-là même, me répondit Gordon. Son vrai nom, quand il ne voyage pas sous un pseudonyme, est Job Jonson. C’est un des filous les plus remarquables de la chrétienté. C’est un fourbe si bien connu qu’il n’y a pas un pick-pocket dans toute l’Angleterre qui voulût se trouver en sa compagnie, s’il avait sur lui quelque chose à perdre. Il était l’enfant favori de son père, lequel avait résolu de lui laisser toute sa fortune qui était considérable. Le fils dévalisa un jour son papa sur la grande route, et le papa qui le reconnut le déshérita. Il entra alors chez un commerçant et arriva peu à peu à occuper la place de premier commis et à gagner le cœur de son patron qui voulut en faire son gendre. Trois jours avant le mariage, il força la caisse, et fut mis à la porte le lendemain. Fussiez-vous en train de lui rendre le plus grand service du monde, il ne pourrait s’empêcher, en attendant, de mettre la main dans votre poche. Enfin il s’est volé à lui-même une douzaine de belles fortunes, une centaine d’amis, et grâce à son incroyable dextérité, il a fini de succès en succès par se réduire à la mendicité et à un pot de bière.

— Pardon, lui dis-je, mais je pense qu’une esquisse de votre propre vie serait plus amusante que l’histoire de toute autre personne ; trouvez-vous ma demande indiscrète ?

— Pas du tout, répliqua M. Gordon, je vais vous satisfaire en peu de mots :

« Je suis né gentleman, et j’ai été élevé avec beaucoup de soins ; on ne cessa de me répéter que j’étais un petit prodige, et l’on n’eut pas grand’peine à me le persuader. Je faisais des vers admirables, je dévalisais les vergers suivant les règles de la tactique militaire, je ne jouais jamais aux billes sans expliquer à mes camarades la théorie de l’attraction, et j’étais le mieux élevé et le plus mauvais petit gredin de toute l’école. Ma famille était fort embarrassée de savoir que faire d’un prodige comme moi ; les