Page:Bulwer-Lytton - Pelham, 1874, tome I.djvu/30

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bleu et la lune tranquille répandaient cette lumière solennelle dont l’effet si vivement perçu par les sens ne saurait être rendu par des paroles.

J’étais sur le point de me remettre en marche quand soudain mes yeux furent frappés par la vue d’une grande et sombre figure, enveloppée comme moi d’un long manteau à la française ; cette figure s’avançait lentement de l’autre côté de l’église et s’arrêta près du taillis dont je viens de parler. J’étais caché à ce moment par l’un des deux ifs.

La figure demeura immobile pendant un moment, puis elle se jeta à terre et se mit à sangloter si fort que je l’entendais de l’endroit où j’étais caché. Je ne savais si je devais attendre ou avancer ; cet homme me barrait justement le chemin et il pouvait être dangereux de troubler cette apparition qui n’était rien moins qu’immatérielle. Toutefois ma curiosité était excitée et j’avais les pieds à moitié gelés, deux raisons pressantes pour ne pas hésiter plus longtemps. Puis, à dire vrai, je n’ai jamais été très-effrayé de quoi que ce soit, pas plus des morts que des vivants. Je sortis donc de l’obscurité et je m’avançai doucement. Je n’avais pas fait trois pas que le personnage se releva et se tint droit et immobile devant moi. Son chapeau était tombé et la lune éclairait en plein son visage. Je reculai d’effroi, glacé non par l’expression sauvage d’angoisse peinte sur ses traits abattus et défaits, ni par le changement subit de cette expression en un air d’inquiétude et de fureur lorsque ses yeux tombèrent sur moi, c’est que malgré les terribles ravages dont on voyait les traces sur ce visage naguère encore si brillant des grâces de la jeunesse, je reconnus du premier coup des traits nobles et remarquables. C’était Réginald Glanville que je voyais là devant moi !

Je me remis bientôt de ma première surprise, je m’élançai vers lui et l’appelai par son nom. Il se détourna vivement, mais je ne le laissai pas échapper. Je glissai ma main sous son bras et l’attirai à moi. « Glanville ! m’écriai-je, c’est moi ! c’est ton vieil ami Pelham, Henry Pelham. Grands Dieux ! je te retrouve enfin, mais dans quel état ! »