Page:Bulwer-Lytton - Pelham, 1874, tome I.djvu/33

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sons[1], le public n’est pas trop bien servi). Mais la situation n’en était pas moins solitaire et désolée. Elle appartenait à un individu moitié pêcheur moitié contrebandier, et se dressait au fond d’une sorte de baie entre deux rochers à pic, d’une teinte sombre. Devant la porte, des filets de formes diverses séchaient sous les rayons bienfaisants d’un soleil d’hiver. Un bateau hors de service, la quille en l’air, servait d’habitation à une poule entourée de sa famille. Au milieu des poulets se promenait d’un air solennel un vieux corbeau célibataire qu’ils semblaient avoir pris en pension. Je jetai un regard de défiance sur le « pensionnaire solennel » qui s’avançait sur moi en sautillant d’un air très-hostile, et je franchis le seuil d’un pas rapide pour me soustraire à une agression imminente.

« Je sais, dis-je à une vieille femme noire et sèche, qui avait l’air d’un hareng-saur ressuscité, qu’il loge ici un gentleman.

— Non, monsieur, me répondit-elle ; il nous a quittés ce matin. »

Cette réponse me fit l’effet d’une douche d’eau froide, je restai glacé et stupéfait sous ce coup imprévu.

Comme je redoublais de questions, la vieille me fit monter dans une misérable petite chambre où l’on se sentait saisi par l’humidité. Dans un coin était le lit encore défait, c’était une sorte de mauvais grabat ; en face, un tabouret à trois pieds, une chaise et une vieille table en bois de chêne sculpté, sans doute quelque cadeau d’un seigneur du voisinage. Sur cette table étaient éparses, des feuilles de papier, une plume, une tasse fêlée à moitié pleine d’encre et une baguette de fusil cassée. Comme ma main se dirigeait machinalement vers cet objet, la vieille me dit, dans un charmant patois que je ne pourrais reproduire sans le gâter et que je me vois, à mon grand regret, forcé de traduire : « Ce gentleman, monsieur, a dit qu’il venait ici pour chasser pendant quelques semaines ; il avait un fusil, un grand chien et un petit porte-manteau. Il est resté près d’un mois ; il avait l’habitude de passer toutes ses matinées

  1. Le parlement anglais s’appelle the house, la maison.