Page:Bulwer-Lytton - Pelham, 1874, tome I.djvu/62

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adopter que les erreurs communes. Mais si nous arrivons à ce résultat, et vous m’accorderez qu’on peut facilement y atteindre, en commençant par nos enfants ; si nous fortifions leur esprit au lieu de l’affaiblir, si nous éclairons leur jugement au lieu de l’obscurcir, dès lors nous écartons les effets préjudiciables des fictions. Et, de même que nous avons appris à l’enfant à se servir d’un couteau sans se couper les doigts, nous lui apprenons à faire usage de la fiction sans que cela tourne à son préjudice. Quel est le philosophe qui a jamais eu à se repentir d’avoir lu les romans de Lesage ou d’avoir vu jouer les comédies de Molière ? Vous voyez bien, M. de G., que si je regarde la littérature mondaine (puisque tel est son nom) comme dangereuse pour les gens superficiels, je ne m’en prends pas pour cela à la littérature elle-même mais seulement aux esprits superficiels.

— Je ne crois pas, dit M. d’A., la tâche aussi facile que vous le dites, et que vous puissiez rendre tous les hommes si savants.

— Non, répondit Vincent. Mais vous pouvez jusqu’à un certain point arriver à ce résultat chez les enfants. Si vous ne niez pas les prodigieux effets de l’éducation, vous êtes bien forcé d’admettre qu’elle doit au moins donner le sens commun, car si elle ne sert même pas à cela, elle ne sert à rien. Eh bien, le sens commun est juste ce qu’il faut pour distinguer le bien du mal, dans la vie comme dans les livres. Mais pour cela il ne faut pas que votre éducation se compose d’une leçon de sagesse en public et d’un exemple de folie dans le particulier ; il ne faut pas contrarier les effets du sens commun chez l’enfant en lui inculquant des préjugés ou en encourageant ses faiblesses ; il n’est pas nécessaire que votre enseignement le mène très-loin, pourvu qu’il le mette dans le droit chemin. Maintenant, pour ce qui est des fictions, vous ne devez pas commencer, comme on fait dans l’éducation moderne, par donner à l’enfant la maladie, quitte ensuite à lui administrer de l’eau chaude pour la chasser : vous ne devez pas lui mettre en mains la fiction avant de lui avoir donné un seul principe pour guider son jugement