Page:Bulwer-Lytton - Pelham, 1874, tome I.djvu/61

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qui se laissent facilement égarer par l’erreur et qui sont incapables d’en discerner la fausseté ; mais dites-moi si ce sont les personnes légères, jeunes et superficielles qui lisent d’habitude les spéculations abstraites et subtiles des philosophes. Non, non. Ce qui fait du tort à la morale et à la vertu, ce sont les études mêmes que monsieur Schlegel recommande ; l’étude de la littérature elle-même, le théâtre, la poésie, les nouvelles qui sont à la portée des esprits frivoles, voilà les vrais ennemis de la religion et du progrès moral.

— Eh quoi ! s’écria M. de G. (petit écrivain et grand lecteur de romans), n’allez-vous pas nous proposer de renoncer à notre littérature mondaine, nous interdire les romans, et nous faire brûler nos théâtres !

— Certes non, répliqua Vincent, et c’est précisément en cela que je diffère de certains écrivains modernes de votre propre pays, pour la plupart desquels je professe du reste une grande vénération. Je ne voudrais rien détruire de ce qui fait le charme et l’amusement de la vie, je voudrais seulement distinguer ce qui est pernicieux de ce qui est élégant ; s’il y avait un serpent parmi mes fleurs, je ne déracinerais pas pour cela mes fleurs mais je tuerais le serpent. Quels sont ceux à qui les fictions et la littérature font du tort ? nous l’avons vu, ce sont les esprits légers et superficiels. Quels sont ceux qui en retirent au contraire quelque profit ? les esprits qui ont de la mesure et du discernement ; qui en retire du plaisir ? tout le monde. Ne vaudrait-il pas mieux, dès lors, au lieu de priver quelques-uns d’un profit, tous d’un plaisir, en bannissant de notre Utopie la poésie et la fiction, corriger et élever les esprits qui trouvent le mal là où ils ne trouveraient que le bien s’ils étaient suffisamments instruits. Admettons avec Helvétius que tous les hommes naissent avec une dose égale de perfectibilité, ou contentons-nous de dire avec tous les autres métaphysiciens que l’éducation peut faire faire à l’esprit humain un progrès incalculable. Dans l’un comme dans l’autre cas, il est bien clair que nous pouvons répandre des notions vraies au lieu de notions fausses, et rendre les vérités communes aussi aisées à discerner et à