Page:Bulwer-Lytton - Pelham, 1874, tome I.djvu/64

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geois se donner des airs de philosophe et de critique ; et comme ils ne sont ni des Scaliger ni des Newton, nous oublions que nous avons affaires à des bourgeois ou à des petits-maîtres, et nous enveloppons du même coup tous vos philosophes et tous vos critiques dans le reproche qui ne devrait atteindre que les individus dont nous venons de parler : des petites gens.

« Nous autres Anglais, à la vérité, nous ne nous exposons pas à cela ; nos dandys, nos marchands, ne disent pas leur dernier mot sur la philosophie de l’esprit humain ni sur les beaux-arts. Et pourquoi cela ? Ce n’est pas qu’ils en sachent plus que leurs pareils en France, au contraire c’est qu’ils en savent moins.

— Vous faites plus que nous rendre justice sur ce point dit M. d’A., mais seriez-vous disposé à nous rendre justice à d’autres égards ? Vos compatriotes ont une propension marquée à nous accuser de manquer de cœur et de véritable sensibilité. Pensez-vous que cette accusation soit fondée ?

— Pas le moins du monde, répliqua Vincent. La même raison qui fait peser sur vous l’accusation de légèreté, me semble se représenter ici, c’est-à-dire cette vanité du boutiquier du Palais Royal, qui est générale dans votre pays, et qui vous porte à mettre en montre le plus d’étalage que vous pouvez. Vous affectez une grande cordialité, de l’enthousiasme même pour les étrangers ; puis vous leur tournez le dos et vous les oubliez. Est-ce à dire que vous manquez de cœur ? Les Anglais ne montrent aucune cordialité, aucun enthousiasme aux étrangers, c’est vrai ; mais ils leur tournent tout aussi bien le dos, et les oublient tout aussi vite. La différence entre eux et vous c’est que vous êtes prévenants, et qu’ils ne le sont pas ; or si nous devons recevoir des étrangers, pourquoi ne pas être polis autant que possible avec eux ? Bien loin d’attribuer le désir de leur plaire à un manque de sincérité, je pense que cela est mille fois plus aimable et plus bienveillant que de leur témoigner à l’anglaise, en prenant un air morose et réservé, qu’ils n’ont rien à attendre de nous. Si je n’ai qu’une demi-lieue à faire avec un homme, pourquoi ne chercherais-je pas à la lui rendre aussi agréable que possible ? Si je préfère le bouder