Page:Bulwer-Lytton - Pelham, 1874, tome I.djvu/65

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et l’envoyer à tous les diables, pourquoi me gonfler d’orgueil sous prétexte que j’ai conscience de ma valeur ? Pourquoi m’écrier : moi du moins j’ai bon cœur ? Ah ! monsieur d’A., puisque la bienveillance est inséparable de la moralité, il est clair qu’il faut être bienveillant dans les petites choses comme dans les grandes, et que l’homme qui s’efforce de rendre la vie agréable à ses semblables, ne fût-ce que pour un instant, vaut mieux que celui qui n’a pour eux que de l’indifférence ou pire encore, du mépris. Ainsi je suis loin de penser, au fond, que cette bienveillance et cet accueil facile soient incompatibles avec la sincérité en amitié. Au contraire, je ne sache pas que vous soyez (en ce qui concerne les mœurs de votre pays) moins bons amis, moins bons maris, ou moins bons pères, que nous.

— Oh ! m’écriai-je, vous vous oubliez, Vincent ! Est-ce qu’il peut y avoir des vertus domestiques ailleurs qu’auprès d’un feu de charbon de terre ? Les affections de famille ne sont-elles plus synonymes de foyer domestique ? Et peut-on trouver le foyer domestique ailleurs que dans la vieille Angleterre ?

— C’est vrai, dit Vincent, il est certainement impossible qu’un père et ses enfants s’aiment autant les uns les autres par un beau jour d’été aux Tuileries ou à Versailles, avec la musique, la danse et la douce brise, que s’ils étaient groupés dans une salle obscure dont le foyer enfumé est accaparé par le bon père et la bonne mère. Là en effet les pauvres petits enfants assis à l’autre bout de la table, chuchotent en grelotant et contiennent l’ardeur expansive de leurs sentiments naturels, de peur de faire du bruit. Si bien que les idées de Croquemitaine et de foyer domestique, de verges et de cher papa deviennent inséparables dans leur esprit. »

Tout le monde rit, à cette sortie, et monsieur d’A. dit en se levant pour partir : « Très-bien, très-bien. Mylord, vos compatriotes sont de grands généralisateurs en philosophie ; ils ramènent toutes les actions humaines à deux grands critériums : la gaîté, pour eux, c’est la marque d’un esprit superficiel, et la bienveillance la preuve d’un cœur sans foi. »