Page:Bulwer-Lytton - Pelham, 1874, tome I.djvu/71

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— Vous avez raison, répliquai-je, aussi n’ai-je pas cet espoir ; il doit y avoir là-dessous quelque bonne plaisanterie dont nous pouvons bien nous donner le spectacle.

— J’y consens de tout mon cœur, répondit Vincent ; en attendant, allons chez la duchesse de G***. »

J’y consentis et nous nous fîmes conduire rue de…

La duchesse de G*** était un magnifique spécimen des personnages de l’ancien régime, grande, majestueuse, des cheveux gris crêpés qui étaient bien à elle, coiffée d’un bonnet haut de forme, en blonde du plus bel éclat. Elle avait été de la première émigration, et elle avait passé quelques mois chez ma mère qu’elle faisait profession de placer au rang de ses meilleures amies. La duchesse offrait au plus haut degré ce singulier mélange d’ostentation et d’ignorance si particulier aux anti-révolutionnaires. Elle était femme à parler de la dernière tragédie avec le ton emphatique d’un connaisseur, et immédiatement vous demandait, comme Marie-Antoinette, pourquoi le pauvre peuple demandait du pain à grands cris, quand il pouvait acheter de si jolies petites brioches à deux sous ?

« Pour vous donner une idée des Irlandais, disait-elle un jour à une marquise très-questionneuse, sachez que ce sont des gens qui aiment mieux les pommes de terre que le mouton ! »

Ses soirées étaient des plus agréables. Elle réunissait tout ce qu’il y avait d’hommes remarquables par leur nom ou leur talent dans le parti ultra, et elle avait la prétention d’être un Mécène en jupons ; mathématiciens, romanciers, poètes, naturalistes, tout le monde y trouvait la porte ouverte à deux battants, et elle causait avec chaque personne d’un ton d’aisance parfaite, sans jamais être prise au dépourvu.

On venait précisément de jouer une pièce nouvelle et la conversation après quelques oscillations préliminaires roula sur ce sujet.

« Vous voyez, nous dit la duchesse, que si vous avez des auteurs, nous avons des acteurs. À quoi cela vous sert-il de nous vanter votre Shakspeare, si votre Liseton, avec tout son mérite, ne peut être comparé à notre Talma ?