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CHAPITRE LXVIII


Je ne rencontrais plus Hélène que rarement, car j’allais peu dans le monde, et je m’occupais de plus en plus de politique. Parfois, cependant, fatigué de moi-même et de mes graves occupations, je me rendais aux sollicitations de ma mère, et je me laissais conduire dans quelqu’une de ces retraites nocturnes du dieu que nous appelons Plaisir, et que les Grecs appelaient Moria. Il était rare que le hasard ne nous fît pas trouver ensemble. C’est alors que ma tâche devenait pénible et douloureuse ; il me fallait commander à mes lèvres, à mes yeux, à mon âme, brider et garrotter mon cœur bondissant qui, chaque jour, à chaque instant, s’élançait vers elle. Il me fallait bien en convenir avec moi-même ; maintenant que les flots impétueux de mes passions étaient domptés, tout en moi était aride, desséché, brûlé d’un feu que je ne pouvais plus éteindre. Il y avait pourtant quelques charmes à ma tristesse ; quand je la regardais danser, quand je l’entendais chanter de sa douce voix, je me trouvais soulagé, presque heureux, à l’idée que son pas était moins léger maintenant, que lorsque je la menais à mon bras ; que les airs qu’elle se plaisait maintenant à chanter, étaient moins gais que ceux qu’elle chantait autrefois.

Placé à distance, loin des regards, j’aimais à laisser errer mes yeux sur ses joues pâles et tristes, à remarquer qu’elle était absorbée par moments, alors que ses yeux paraissaient le plus brillants, ses lèvres le plus animées, et à re-