Page:Bulwer-Lytton - Pelham, 1874 tome II.djvu/140

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draient pas tant de peines pour être grands et sages ; comme dit le proverbe chinois, ils sacrifient un tableau pour en avoir les cendres. Il est presque à regretter que ce désir d’avancement soit si nécessaire à notre existence. L’ambition est souvent un beau sentiment, mais qui jamais ne donne le bonheur. Cyprien, dans un beau passage sur l’envie, l’appelle « la vermine de l’âme » ; cependant, peut-être, cette passion même est-elle moins dévorante, moins semblable au tabes pectoris, que l’ambition. Vous êtes surpris de ma véhémence ? Le fait est que je suis furieux en pensant où peut nous entraîner la folie de regarder seulement en haut, et de fouler aux pieds, sans y faire attention, dans l’aveuglement de nos désirs, les affections que nous trouverions partout sous nos pas. Tenez ! vous et moi, depuis longtemps nous nous sommes perdus de vue. Pourquoi ? est-ce l’effet de quelque dispute, de quelque désagrément particulier, de quelque découverte blessante pour l’honneur, la fidélité, la loyauté de l’un de nous ? Non ! mais simplement parce que je dîne avec lord Lincoln, et vous avec lord Dawton, voilà tout. Ah ! que les Jésuites ont raison de dire que ceux qui vivent pour le public doivent renoncer à tout attachement privé. Le jour où nous devenons citoyens, nous devons cesser d’être hommes. Notre vie privée est comme Léon X ; du moment qu’elle expire, toute paix, tout confort, toute joie, toute société, meurent nécessairement avec elle ; et un âge de fer, barbara vis et dira malorum omnium incommoda, doit lui succéder.

— C’est dommage que nous n’ayons pas suivi la même route, lui dis-je ; aucun plaisir n’aurait été plus grand pour moi que de confondre nos intérêts politiques ; mais…

— Peut-être n’y a-t-il pas de mais, interrompit Vincent ; peut-être comme les deux chevaliers du vieux conte, nous donnons seulement des noms différents au même bouclier, parce que nous ne le voyons pas du même côté ; imitons-les de même dans leur réconciliation, aussi bien que dans leur querelle, et puisque nous avons déjà rompu des lances l’un contre l’autre, reconnaissons notre erreur et renonçons à nos différends. »