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pour lesquelles j’ai une aversion que je ne cherche pas à dissimuler. C’est terrible qu’en Angleterre on ne puisse pas avoir un ami sans courir le risque d’être tué d’un coup de pistolet ou d’être empoisonné. Si votre ami vous fait une invitation et que vous la refusiez, il se figure que vous voulez l’insulter et vous dit quelque mauvaise parole qui vous met dans la nécessité de le provoquer. Si vous acceptez, vous mourez d’une indigestion de ragoût de mouton ou de navets, ou encore…

— Mon cher ami, me dit Guloseton, la bouche pleine, tout cela est parfaitement vrai, mais ce n’est pas le moment de parler, mangeons. »

Je reconnus la justesse de son observation, et nous n’échangeâmes plus un seul mot à part les exclamations que nous arrachaient la surprise, le plaisir, l’admiration ou le mécontentement, à mesure que les mets se succédaient. Enfin le dessert arriva et nous fûmes seuls.

Lorsque je jugeai que mon hôte avait assez fait honneur à son vin, je me mis en devoir de renouveler mes attaques. Je l’avais déjà précédemment misa l’épreuve du côté de la vanité en lui parlant du pouvoir, de la considération, mais en vain ; j’essayai d’une autre batterie.

« Combien il y a peu de personnes, lui dis-je, qui soient capables de donner un dîner passable, et combien il y en a pourtant qui savent payer un juste tribut de louanges à un dîner bien entendu ! Je ne crois pas qu’il pût y avoir de plus grand triomphe pour un Épicurien ambitieux que de voir à sa table les premières et les plus considérables personnes de l’État s’incliner avec respect devant la profondeur, la variété, la pureté et la magnificence de son goût. Quel honneur que de leur faire oublier dans l’extase que procurent les jouissances pures du palais, les plus audacieux et les grands projets qui occupent d’ordinaire toutes leurs pensées. Je les vois d’ici ceux que l’Angleterre tout entière poursuit de sollicitations et de demandes de places, devenus à leur tour solliciteurs et postulants empressés pour obtenir une place à une table distinguée. Je ris en pensant que tous les grands mouvements des ministères, seraient conçus et exécutés sous l’influence du suc nourris-