Page:Bulwer-Lytton - Pelham, 1874 tome II.djvu/90

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sant des viandes savamment apprêtées et de l’excitation que font naître les vins généreux. Sous l’influence d’une cuisse de chevreuil comme celle que nous venons de déguster, quelles nobles et puissantes mesures politiques doivent s’engendrer ! Quelle délicatesse, quelle subtilité, quelle finesse doit produire un sauté de foie ! Quelles divines améliorations dans l’assiette des impôts peut inspirer un ragoût à la financière ! Oh ! si ma bonne étoile voulait que je fusse cet homme-là, je n’envierais ni la fortune de Napoléon ni le génie de S. »

Guloseton se mit à rire : « L’ardeur de votre enthousiasme fait tort à votre jugement, mon cher Pelham ; vous êtes comme Montesquieu, la vivacité de votre imagination vous fait avancer des paradoxes que la froide raison vous ferait rejeter. Par exemple vous conviendrez que si l’on avait à sa table toutes ces personnes distinguées, on serait forcé de parler davantage et par conséquent de manger moins. Bien plus, de deux choses l’une, ou vous seriez excité par votre triomphe ou vous ne le seriez pas ; cela est incontestable : si vous n’êtes pas excité, vous vous ennuyez sans profit ; si vous êtes excité vous faites tort à votre digestion ; il n’y a rien de préjudiciable à l’estomac comme l’inquiétude fébrile que donnent les passions. Toutes les philosophies recommandent le calme comme le το καλον de leur code ; vous voyez donc bien qu’en suivant votre système, si l’on risque de gagner d’un côté on risque de l’autre d’être mortifié ! La mortification ! mot terrible ; combien d’apoplexies dérivent de cette source ! Non, Pelham, arrière l’ambition ; emplissez votre verre et apprenez enfin le secret de la vraie philosophie ! »

Que le ciel confonde cet homme, anathème sur lui, me dis-je en moi-même ; mais je criai tout haut : « Vive le Salomon des sautés !

— Il y a quelque chose, me dit Guloseton, dans votre physionomie et dans vos manières, de si franc, de si honnête, que non-seulement on se sent bien disposé d’abord en votre faveur, mais que l’on désire même devenir votre ami aussi. Je vous dirai, en confidence, que rien ne m’a-