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L’ÉTAT AU POINT DE VUE DU MÉCANISME.

relations commerciales. Il n’était pas question d’emprunts, comme on en voyait se faire dans les villes ; plutôt que d’emprunter, on se permettait de temps à autre un coup de force bien combiné, qui était supposé devoir laisser intact l’ensemble de l’édifice politique, comme, par exemple, la destitution et la spoliation des employés supérieurs des finances, qui rappelait les procédés des sultans[1].

Au moyen de ces ressources, le prince cherchait à faire face à toutes les dépenses, c’est-à-dire à entretenir sa petite cour, sa garde personnelle, l’armée qu’il soudoyait, les édifices publics, et à payer les bouffons aussi bien que les gens de talent qui faisaient partie de son entourage. L’illégitimité, entourée de dangers permanents, isole le souverain ; les relations les plus honorables qu’il puisse nouer sont celles qu’il entretient avec des hommes doués de grandes qualités intellectuelles, quelle que soit d’ailleurs leur origine. Au treizième siècle, la libéralité des souverains du Nord s’élait bornée aux chevaliers, aux serviteurs et aux trouvères de noble extraction. Il n’en est pas de même du tyran italien, qui réve de beaux monuments, qui a la passion de la gloire, et qui, par suite, a besoin de s’entourer d’hommes de talent. Vivant au milieu des poêles ou des savants, il se sent sur un terrain nouveau, il est presque en possession d’une nouvelle légitimité.

Tout le monde connaît sous ce rapport le tyran de Vérone, Can Grande della Scala, qui entretenait toute une Italie dans la personne des illustres réfugiés qui peuplaient sa cour[2]. Les écrivains étaient reconnaissants ;

  1. Franco Sacchetti, Novelle (61, 62).
  2. Dante a sans doute perdu la faveur de ce prince, tandis que les bouffons l’ont toujours gardée. Comp. l’histoire curieuse