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Page:Burckhardt - La civilisation en Italie au temps de la Renaissance. Tome 1.djvu/146

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L’ÉTAT AU POINT DE VUE DU MÉCANISME.

Mais lorsqu’à la longue le Pape subit la domination de son fils, les moyens employés par le Saint-Siège prirent ce caractère infernal qui réagit nécessairement sur le but à atteindre. Les rigueurs exercées dans la lutte engagée contre les grands de Rome et les princes de la Romagne dépassèrent, sous le rapport de la perfidie et de la cruauté, la mesure à laquelle les Aragonais de Naples, par exemple, avaient déjà habitué le monde ; de même, les Borgia savaient mieux ourdir leurs trames. On frémit en voyant la manière dont César isole son père pour assassiner plus tranquillement son frère, son beau-frère, d’autres parents et des courtisans, dès que ia faveur dont ils jouissent auprès du Pape ou même leur attitude lui donne de l’ombrage. Alexandre fut obligé de donner sou consentement à l’assassinat du duc de Candie, celui de ses fils qu’il aimait le mieux[1], parce que lui-même tremblait à toute heure devant César.

Quels étaient donc les projets secrets de ce dernier ? Même dans les derniers mois de sa domination, lorsqu’il venait de mettre à mort les condottieri à Sinigaglia et qu’il était de fait le maître des États de l’Église (1503), son entourage s’exprimait assez discrètement sur ce point : on disait que le duc voulait simplement supprimer les factions et les tyrans, et cela dans l’unique intérêt de l’Église ; qu’il se réservait tout au plus la Romagne et qu’il pouvait être sûr de la reconnaissance de tous les papes ultérieurs, puisqu’il les avait débarrassés des Orsini et des Colonna[2]. Élait-ce là le fond de sa pensée ? Personne ne l’admettra. Alexandre lui-même fut plus explicite, un jour que, s’entretenant avec*

  1. V. appendice no 7, à la fin du volume.
  2. Macuiayelli, Opere, ed. Milan, vol. Y, p. 387, 393, 395, dans la Legazione al duca Valentino.