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Page:Burckhardt - La civilisation en Italie au temps de la Renaissance. Tome 1.djvu/169

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CHAPITRE PREMIER. — L’ÉTAT ITALIEN ET L’INDIVIDU.

se faire remarquer, d’étre et de paraître[1] autre que le commun des hommes[2].

Comme nous l’avons vu, la tyrannie commence par développer au plus haut degré l’individualité du souverain, du condottiere lui-même ; ensuite elle développe celle du talent qu’il protège, mais aussi qu’il exploite sans ménagement, du secrétaire, du fonctionnaire, du poëte, du familier. L’esprit de ces gens apprend forcément à connaître toutes ses ressources, celles qui sont permanentes comme celles du moment ; grâce à des moyens intellectuels, leur vie s’élève et se concentre pour donner le plus de valeur possible à ce pouvoir et à cette influence qu’ils n’exerceront peut-être pas longtemps.

Même les sujets n’étaient pas tout à fait étrangers au mouvement qui emportait les maîtres. Nous ne ferons pas entrer en ligne de compte ceux qui passaient leur vie à résister au pouvoir, à conspirer contre lui ; nous ne parlerons que de ceux qui se résignaient à être de simples particuliers, à peu près comme la plupart des habitants des villes de l’empire byzantin et des États mahométans. Il est certain, par exemple, que souvent les sujets des Visconti ont eu beaucoup de peine à sou-

  1. Vers 1390, il n’y avait plus à Florence une mode dominante pour l’habillement des hommes, parce que chacun cherchait à se singulariser par le costume. Compar. les Canzone de Franco Sacchetti ; Contro alle nuove foggie, dans les RIME, Pubi, dal Poggiali, p. 62.
  2. À la fin du seizième siècle, Montaigne [Essais, I. III, ch. v, vol. III, p. 367 de l’édition de Paris de 1816) établit entre autres le parallèle suivant ; « Ils (les Italiens) ont plus communément des belles femmes et moins de laides que nous ; mais des rares et excellentes beautés j’estime que nous allons à pair. Et (je) en juge autant des esprits : de ceux de la commune façon, ils en ont beaucoup plus et évidemment ; la brutalité y est sans comparaison plus rare : d’âmes singulières et du plus bault estage, nous ne leur en debvons rien.