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CHAPITRE III. — LA TYRANNIE AU QUINZIÈME SIÈCLE.

respectueusement, parce que chacun le regardait comme le « père commun des soldats ».

Cette famille Sforza est surtout inléressante parce qu’on croit la voir, dès l’origine, s’acheminer vers le trône[1]. C’est sa grande fécondité qui fut la cause première de sa brillante fortune : le père de François, Jacques Sforza, qui était déjà très-célèbre, avait vingt frères et sœurs, qui tous avaient été élevés à la dure dans la ville de Cotignola près de Faenza, et qui avaient grandi sous l’impression d’une de ces éternelles vendettas romagnoles qui armait leur famille contre les Pasolini. Toute la maison n’était qu’un arsenal et qu’un corps de garde ; la mère et les filles elles-mêmes étaient dc véritables guerrières. Jacques n’avait que treize ans lorsqu’il partit secrètement à cheval pour aller rejoindre, tout près de Panicale, le condottiere pontifical Boldrino. C’était celui qui, tout mort qu’il était, commandait encore jnsqu’à ce qu’il trouvât un successeur digne de lui ; en effet, le mot d’ordre sortait d’une tente toute garnie de drapeaux, dans laquelle on conservait le corps embaumé de l’illustre chef. Lorsque, grâce à ses exploits de condottiere, Jacques fut arrivé à une haute situation, il associa les membres de sa famille à sa fortune et s’assura ainsi les avantages que vaut à un prince une nombreuse dynastie. Ce sont ses parents qui empêchent l’armée de se disperser, pendant qu’il est enfermé dans le Castel Nuovo à Naples, et c’est sa sœur en personne qui s’empare des négociateurs du roi et qui, en détenant ces otages, le sauve de la mort.

Ce qui prouve que Jacques Sforza se croyait assuré d’un

  1. C’est, du moins, ce que dit Paul Jove, dans sa Vita magne Sfortiæ (Rome, 1539. Livre dédié au cardinal Ascanio Sforza), une des plus intéressantes de ses biographies.