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LA RÉSURRECTION DE L’ANTIQUITÉ.

texte des poëtes élégiaques latins avec une extrême liberté, de même ils se sentaient capables de les imiter avec succès. L’élégie de Navagero à la Nuit contient autant de réminiscences que n’importe quel poëme de ce genre, ce qui ne l’empêche pas d’avoir un cachet tout à fait antique. En général, la première préoccupation de Navagero[1] est de trouver un sujet vraiment poétique, qu’il traite ensuite non pas servilement, mais avec une noble indépendance, dans le style de l’Anthologie, d’Ovide, de Catulle, et même des églogues de Virgile ; il use de la mythologie avec une extrême modération ; il composera, par exemple, une prière à Cérès ou à d’autres divinités champêtres, pour retracer la vie dans ce qu’elle a de simple et de primitif. Il n’a pas achevé un salut à la patrie, qu’il avait commencé lors de son retour de sa mission en Espagne ; nous aurions un charmant poëme de plus si la fin avait répondu à ce début :


Salve, cura Deum, mundi felicior ora,
Formosœ Veneris dulces, salvete, recessus,
Ut vos post tantos animi mentisque labores
Aspicio lustroque libens, ut munere vestro.
Sollicitas toto depello e pectore curas[2]


La forme élégiaque ou hesamétrique est de rigueur pour quiconque veut exprimer des idées élevées ou de nobles sentiments ; l’appel au patriotisme (p. 161, l’élégie à Jules II), l’apothéose des princes, la tendre mélancolie d’un Tibulle, se servent de ce moule consacré par l’usage[3]. François-Marie Molza, qui, dans les adulations

  1. Andr. Naugerii orationes duæ carminaque aliquot. Ven., 1530, in-4o. Sur lui et sur sa mort voir Pier. Val., De inf. lit., ed. Mencken, p. 226 ss.
  2. Comparer le salut de Pétrarque à l’Italie, qui est plus ancien
    d’un siècle (composé en 1353), dans Petr., Carmina minora, ed. Bossetti,
    II, p. 266 ss.
  3. On voit ce qu’on pouvait dire à Léon X par la prière que