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vue national, comme patrie idéale des hommes cultivés des États de l’Italie morcelée de si bonne heure[1]. De plus, elle n’est pas l’organe exclusif de la noblesse ou de quelque autre classe ; le plus pauvre, le plus humble citoyen a les moyens et le temps de se familiariser avec elle, s’il le veut. De nos jours encore (peut-être plus que jamais), l’étranger arrivant dans des contrées de l’Italie où se parle d’ordinaire le dialecte le moins intelligible, est souvent surpris d’entendre des gens de condition infime et des paysans parler avec un accent irréprochable l’italien le plus pur, tandis qu’en France, voire en Allemagne, où même les gens cultivés gardent leur accent provincial, on chercherait en vain chez les classes inférieures cette pureté de langage et de diction. Sans doute, il y a généralement en Italie plus d’individus sachant lire qu’on ne pourrait le supposer, étant donné la situation de certaines provinces ; mais à quoi cela servirait-il si tout le monde ne professait un respect absolu pour la pureté de la langue et de la prononciation, et ne la regardait comme un bien précieux à conserver ? Cette langue s’est propagée successivement dans toutes les provinces italiennes ; Venise, Milan et Naples l’ont adoptée officiellement à l’époque où la littérature était encore dans tout son éclat et en partie à cause de cela même. Ce n’est que dans notre siècle que le Piémont est devenu, grâce à un acte volontaire et libre, on pays vraiment italien, en remplaçant son dialecte par la langue générale du pays[2]. Dès le commencement du seizième siècle, on abandonnait à dessein à la littérature dialectique cer-

  1. C’est déjà le sentiment de Dante : De vulgari eloguio, I chap. XVII et XVIII.
  2. Bien longtemps avant on écrivait et on lisait le toscan dans le Piémont ; seulement on écrivait et on lisait peu.