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Page:Burckhardt - Le Cicerone, 1re partie, trad. Gérard, 1885.djvu/142

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fait juvénile, et c’est ainsi que la célèbre statue florentine (Tribune des Uffizi) appelée avec raison l’Apollino [a] nous représente le dieu sur la limite de l’enfance et de l’adolescence. Par malheur, on a dû, à cause des dégradations, revêtir dans les temps modernes cette œuvre d’un enduit qui couvre entièrement la surface primitive, mais la beauté originelle brille encore au travers. L’expression heureuse d’une âme légère se mêle dans cette figure à une gravité qui la distingue au premier coup d’œil des simples demi-dieux.

Les statues de grandeur naturelle, et même colossale, exécutées sur le même motif ne sont que des agrandissements d’une époque postérieure, et nullement heureux[1], quelle que soit leur transformation en une figure d’un âge viril et accompli. Il en est ainsi de cette figure colossale et demi-nue dont on a fait um Apollon Pythien avec le serpent et le trépied, et qu’on voit dans la grande salle du Museo Capitolino [b] ; telle est encore la grande statue analogue, en basalte [c], qui est exposée au Musée de Naples (salle 1) ; la grande statue qu’on voit dans la salle du Gladiateur mourant (Museo Capitolino) est entièrement nue [d] ; — autrefois l’Apollon qui est à l’extrémité du premier corridor des Uffizi [e], sans doute œuvre du temps d’Adrien, et restauré avec un bras étendu, avait la même attitude ; de même celui du Palais des Doges à Venise (corridor), statue romaine d’un style passable [f].

Il y a une figure d’Apollon juvenile, bien différente de l’Apollon et cependant d’une beauté intime, que nous devons certainement au grand artiste qui a transformé le sublime en charme, à Praxitèle ; C’est un Apollon, légèrement appuyé de la main gauche au tronc d’un arbre, qui épie un lézard en train d’y grimper. La main droite, si la restauration est exacte, tenait un javelot dont il a l’intention de frapper l’animal aussitôt qu’il sera arrivé assez haut, d’où le nom de Sauroctone, tueur de lézards. Les formes encore presque enfantines, tout à fait grêles, les traits d’une beauté presque féminine, l’attitude aisée et calme qui rappelle le Satyre periboëtos du même artiste, donnent à ce motif de genre un très grand charme. C’est bien ainsi qu’il fallait exprimer le far niente d’un jeune dieu. Le Vatican (Galleria delle Statue),

  1. C’est une des nombreuses preuves que les dimensions ne sont aucunement chose arbitraire. Plus un motif est imposant et symétrique, plus il comporte l’agrandissement et la réduction ; plus l’attitude est passagère, comme il arrive dans la sculpture de genre, moins elle supporte les changements de dimension. Ainsi les figures qui n’ont pas toute leur croissance et qui tirent de la stature enfantine une partie de leur caractère, ne doivent pas être agrandies sensiblement, abstaction faite d’autres raisons qui pour être nécessaires n’en sont pas moins importantes. Les copies de marbre agrandies, d’après de célèbres antiques, à la Villa Reale de Naples [G] qui n’est pas clos, doivent produire un effet symétrique, il faut bien faire violence aux proportions, mais l’œil devinera facilement le cas spécial où cela s’est fait. Le colossal Hercule enfant [H], qui est dans la grande salle du Museo Capitolino, est aussi de ce genre, sans parler des anges du baptistère de Saint-Pierre.