Aller au contenu

Page:Burckhardt - Le Cicerone, 1re partie, trad. Gérard, 1885.djvu/141

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

idéale indépendante et parfaite en soi, et qui tient le milieu et la première place non seulement entre le gymnaste Mercure et Bacchus l’efféminé, mais entre toutes les figures de dieux. Il a des formes sveltes qui indiquent autant de force que l’action du moment en réclame ; un ovale de tête encore allongé plus tard par un nœud épais de cheveux bouclés au-dessus du front ; des traits d’une beauté et d’une pureté idéales.

Des statues qui existent en Italie, bien peu offrent à nos yeux cet idéal parfait ; la plupart sont des œuvres romaines, purement décoratives. Cependant, parmi elles, se trouve l’Apollon [a] du Vatican (dans une salle spéciale du Belvédère). Conçu autrefois comme vainqueur du serpent Python ou des enfants de Niobé, même comme le dieu qui chasse les Érynnies, — selon l’explication à laquelle on se range, — il devait, quand sa flèche (?) avait frappé, s’éloigner avec un air d’orgueil et même un reste de courroux. La main droite étendue emphatiquement, dont on aimerait mieux faire abstraction, est cependant antique. Cette statue, qui est vraisemblablement la copie d’un bronze, comme le manteau semble l’indiquer, montre un souci du détail que l’on serait tenté d’attribuer plutôt à l’époque impériale, et qui, actuellement, ne nous semble plus si digne d’être proposée en exemple que du temps de Winckelmann. Mais ce qui reste digne d’une admiration immortelle, c’est la pensée de l’ensemble, la légèreté divine de la marche et de l’attitude, la pose de la tête qui, pour l’effet, est bien en arrière de l’épaule droite.

Dans une petite reproduction en bronze de cette statue, reproduction découverte en Grèce, et qui est aujourd’hui chez le comte Stroganoff à Saint-Pétersbourg, on a cru pouvoir terminer la main gauche, non par un arc, mais par une égide que le dieu élèverait pour effrayer ses ennemis ; mais on a, avec raison, signalé les difficultés artistiques et techniques qui s'opposent à cette manière de compléter la main. On a songé à la défaite des Gaulois surprenant Delphes. Les modifications et l’exécution de l’œuvre du Belvédère sont de l’époque impériale. Une belle reproduction de la tête, d’après l’original peut-être, et qui se trouve à Bâle, est du temps des successeurs d’Alexandre.

Une statue de bronze du Musée de Naples (3e salle des Bronzes) nous montre Apollon dans l’ardeur du combat [b], bandant son arc[1] Il est ici bien plus jeune, élancé ; c’est un adolescent, mais sa petite tête a la même expression de colère ; le beau mouvement de sa course semble encore accéléré par le mouvement d’un pan de vêtement jeté derrière le dos et revenant sur les bras.

Le plus souvent Apollon est représenté au repos et adossé, le bras droit rejeté sur la tête et la main gauche tenant la cithare. Ce motif, qui a pour ainsi dire l’attrait d’une sculpture de genre, n’appartenait originairement, comme nous pouvons le penser, qu’à un Apollon tout à

  1. C’est ce qu’on présume, d’après le mouvement des mains, car l’arc a disparu.