Aller au contenu

Page:Burckhardt - Le Cicerone, 1re partie, trad. Gérard, 1885.djvu/193

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le soi-disant « Narcisse » a été ajouté avec raison, dans les temps modernes, à la collection comme un Niobide blessé. À Munich se trouve un meilleur exemplaire du fils mort.

Si aucun des grands maîtres grecs n’a peut-être mis la main aux statues florentines, pas même au torse du Musée Chiaramonti, elles ont cependant une grande et durable valeur. Le motif grandiose de la mère unit la plus haute expression du moment à la plus exquise beauté de la représentation ; elle fuit, protège et implore ; le geste de la main gauche qui relève la draperie, quoiqu’il soit sans succès contre les armes divines, est précisément très éloquent comme acte inconscient. (Ces parties sont complétées, mais avec exactitude.) Toute la draperie, encore excellente dans les copies, a dû être, dans l’original, d’une distinction que n’a peut-être aucun des antiques existants ; tout y est mouvementé, mais sans flotter, et laisse deviner le corps splendide. On jouit mieux de la tête dans les copies isolées. — Après la mère, on donnera la préférence au fils qui a sa draperie par-dessus la tête.

Le type qui est observé jusqu’au bout dans ces figures est digne d’être remarqué avec attention. La mère et les filles, autant que leurs têtes sont authentiques, portent en elles cette beauté grandiose et accomplie qui se rapproche de la Vénus victorieuse et plus encore de la Vénus de Cnide ; les plus juvéniles même ont un air de matrone, ce dont on peut facilement se persuader en les comparant avec la Vénus de Médicis ; on y reconnaît l’ancien idéal de beauté de l’art grec surtout. — Les fils sont représentés en athlètes, et leur visage est avec celui de Mercure dans le même rapport de ressemblance que celui de plusieurs jeunes athlètes, abstraction faite de l’expression du moment qui, en quelques grands traits, est magistralement rendue. Deux d’entre eux existent en double exemplaire.

Le rapprochement proposé des Niobides avec l’Apollon du Belvédère et la Diane de Versailles ne peut convenir qu’à des esprits prévenus, et ne peut être soutenu par des raisons de style. Tous deux sont, d’après leur type, bien postérieurs à l’original des Niobides. Les Grecs, du reste, comprenaient la destinée de ces dernières sans qu’on y ajoutât une explication qui pouvait facilement distraire.


Un art grandi par autant de conceptions idéales que celui des Grecs pouvait aussi, plus que tout autre, créer des portraits. Il leur donnait au plus haut degré un sens historique, en subordonnant les traits accidentels aux traits essentiels, ou en les supprimant, en approfondissant le caractère de l’homme tout entier pour animer ensuite tout l’homme, non tel qu’il était en réalité, mais tel qu’il aurait dû être, d’après l’essence spirituelle de son être. À cela s’ajoutait, il est vrai, le privilège grec par excellence ; des hommes et des héros auxquels l’État ou des particuliers qui les admiraient ont élevé des statues. Ces figures indivi-