Page:Burckhardt - Le Cicerone, 1re partie, trad. Gérard, 1885.djvu/53

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le caractère, l’intention maîtresse de l’œuvre architecturale. À quel édifice de la presqu’île italique appartient en ce cas la première place ? il ne peut s’élever là-dessus aucun doute.


Parmi les trois temples de Pæstum (l’antique Posidonia), l’œil s’arrête de préférence sur le plus grand, celui du milieu. C’est le Sanctuaire de Neptune [a] à travers les portiques ruinés miroitent au loin les flots bleus de la mer. Un soubassement de trois marches élève au-dessus du sol la demeure du dieu, trois marches faites pour des pas plus qu’humains. On voit aux restes du vieux temple dorique d’Hercule, à Pompéi, que, pour l’usage des fidèles, un escalier à marches ordinaires était placé sur le devant.

Les plus anciens temples grecs, comme celui d’Ocha, en Eubée, étaient une simple construction de quatre murs de pierre. Mais quand l’art grec s’éveilla, il créa le portique circulaire avec entablement, de bois dans les premiers temps peut-être, puis bientôt de pierre. Ce portique, abstraction faite de sa destination particulière, n’est autre chose qu’une expression idéale, animée, pour ainsi dire, de la muraille elle-même. Dans un merveilleux équilibre, l’élan des forces et la pesanteur des masses concourent à former un tout organique.

L’œil croirait voir ici et dans d’autres monuments grecs, non pas de simples pierres, mais des êtres vivants. Nous devons étudier avec attention leur caractère intime et leur développement.


L’ordre dorique, dont nous voyons ici toute l’antique sévérité dans un monument de la fin du sixième siècle avant Jésus-Christ, accuse ce développement d’une manière plus complète et avec plus de netteté que l’ordre ionique. La colonne dorique devait, en raison de la puissance de l’entablement, exprimer la plus grande force de résistance. On pouvait élever des colonnes ou des piliers aussi larges que possible ; mais les Grecs, d’ordinaire, produisaient l’effet non par la masse, mais par l’emploi idéal des formes, et l’ordre dorique est une des plus hautes manifestations du sentiment de la forme.

Le premier moyen auquel on a songé ici était l’amincissement graduel de la colonne de bas en haut. Au regard, elle donne l’assurance que la colonne ne peut se renverser. Le second moyen consiste dans les cannelures. Elles indiquent que la colonne devient plus dense et plus résistante à l’intérieur, comme si elle concentrait sa force ; elles sont en même temps l’expression plus accentuée de l’élan en hauteur et produisent une agréable alternative de lumière et d’ombre. Mais les lignes des colonnes, comme celles de tout l’édifice, ne sont nulle part d’une raideur mathématique ; un léger renflement, au contraire, exprime à merveille le mouvement de la vie intérieure.

Ainsi, douée de mouvement et d’âme, la colonne s’élève jusqu’à l’enta-