Page:Burckhardt - Le Cicerone, 1re partie, trad. Gérard, 1885.djvu/8

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Aussi garde-t-elle l’influence, le secret d’inspirer et de suggérer qui appartient aux villes où l’histoire et l’esprit ont résidé, Et, à cet égard, il n’est pas douteux qu’elle n’ait agi sur J. Burckhardt et n’ait aidé à développer chez lui le tempérament qui est devenu sa manière d’écrivain. Je veux dire un heureux composé dans lequel entrent, avec le sens de l’histoire proprement dite, la réflexion du philosophe et le goût de l’artiste ; ou, d’un seul mot, et pour demeurer dans les limites de la Renaissance elle-même, cet esprit d’« humanité » qu’Érasme, qui en est le véritable représentant, a apporté dans les controverses religieuses de son siècle, et dont il se fût de même inspiré à trois siècles de distance, pour écrire l’histoire de l’art.

Deux influences encore, plus immédiates, ont dû être décisives pour Burckhardt : les années d’apprentissage (Lehrjahre) en Allemagne et les années de voyage (Wanderjahre) en Italie.

Lorsque, après avoir terminé ses premières études à Bâle, Burckhardt se rendit en Allemagne, vers 1838, le cycle héroïque des hautes spéculations et des métaphysiques transcendantes venait à peine d’être clos, et, dans la mêlée des systèmes, les idées sur l’histoire, sur l’art, sur l’histoire de l’art, avaient passé par de singulières et diverses vicissitudes. Ici, comme partout, Kant, Schelling, Hegel, laissaient des traces profondes. Les facultés et les œuvres de l’intelligence humaine avaient eu, tour à tour, leur hégémonie : au règne de la raison pratique et de la morale fondé par Kant avaient succédé le règne de l’imagination et de l’art avec Schilling, le règne de l’histoire avec Hegel, tandis que, plus obscurément, mais sûr d’avoir son heure, Schopenhauer préparait cette doctrine de néant où l’art seul dispute à la mort le privilège et le titre de libérateur. Au jour de la liquidation, certains faits, certaines acquisitions presque scientifiques se sont conservés dans la banqueroute des doctrines ; et il n’est que juste en particulier de laisser à Hegel[1] ce qui lui appartient. Nul, avant Hegel, n’avait eu une telle conception, n’avait tracé un tel programme de

  1. Hegel, Vorlesungen über die Ästhetik (Lectures sur l’Esthétique). (Berlin, 1835-1838.)