Page:Burckhardt - Le Cicerone, 1re partie, trad. Gérard, 1885.djvu/9

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l’histoire ; nul n’avait présenté de l’art un tableau aussi vaste, une classification aussi juste, une généalogie aussi méthodique. Les grandes généralisations encyclopédiques et éphémères, les meilleures du moins, laissent ainsi après elles quelques résultats plus modestes, mais utiles, et qui sont comme le détail solide, durable, d’une architecture dont la mode passe. La métaphysique est coutumière de ces trouvailles, qui sont des surprises. Il y a lieu de croire que Burckhardt, sans avoir eu souci de s’enrôler dans aucune école spéculative, s’est fortifié pourtant à cette haute discipline intellectuelle, et a recueilli dans les systèmes les vues neuves, les intuitions fines et profondes qui s’y trouvaient éparses. Dans les sciences dites morales, comme dans les sciences naturelles, telle hypothèse théorique se réduit souvent, en dernière analyse, à une notation ou à un catalogue qui, en tout cas, résume et facilite désormais le travail. En ce sens, il serait aisé de montrer la marque de Hegel dans les têtes de chapitre ou la table des matières de maint ouvrage historique.

Mais la tradition dont relève Burckhardt est tout autre. Il est de la lignée de Winckelmann, de Bœck, d’O. Müller, d’É. Gerhardt : il a cette même manière sobre, élégante, précise, je dirais presque « érasmienne », en souvenir de Bâle. Et, de fait, l’Allemagne que connut Burckhardt, entre les années 1840 et 1850, très lasse de spéculation, très revenue des systèmes, n’appréciait guère que le savoir critique et sûr, l’étude positive, d’après les documents et les sources, telle au reste que l’avait pratiquée la première Renaissance, cet âge d’or des philologues, des antiquaires et des lettrés. Ses vrais modèles durent être l’Histoire de l’Art chez les anciens[1], le Manuel dArchéolgie de l’art[2], les Monuments antiques[3], les Vases peints[4], ces chefs-d’œuvre de science, d’art et de goût. Il y avait alors à Berlin, tant à l’Université qu’au Musée, et sous le patronage du souverain dilettante que Strauss com-

  1. J. J. Winckelmann, Geschichte der Kunst des Altertums. (Dresde, 1764.) Une édition complète des œuvres a été publiée à Stuttgart en 1847.
  2. K. O. Müller, Handbuch der Archœologie der Kunst. (Breslau, 1830.)
  3. Monumenti antichi, par Winckelmann. (Rome, 1767.) — Antike Bildwerke, par É. Gerhardt (Munich, Stuttgart, Tübingen, 1827-1837.)
  4. É. Gerhardt, Auserlesene griechische Vasenbilden. (Berlin, 1840-1858)