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XI
NOTICE SUR LES TRAVAUX DE M. EUGÈNE BURNOUF.

temps à trouver la voie que lui indiqua heureusement une initiative si sûre et si douce.

À peu près inconnu de tout le xviiie siècle, cultivé vers 1780 avec succès dans les établissements de l’Inde, grâce à la conquête anglaise, et ensuite à la Société Asiatique de Calcutta, qu’avait fondée le génie de William Jones, expliqué dans des grammaires d’abord assez imparfaites, le sanscrit resta presque ignoré de l’Europe savante jusqu’à l’époque de la Restauration. La France eut la gloire de fonder la première chaire où cette langue fût enseignée en Europe ; et c’est M. de Chézy, comme on le sait, qui l’occupa de 1814 à 1832. M. de Chézy, attiré de l’étude du persan à celle du sanscrit, s’était formé tout seul sur le continent, loin de toutes ressources, par une sagacité extraordinaire et par une infatigable patience. En homme de goût, il s’était attaché par dessus tout aux beautés littéraires du sanscrit ; et c’était sous le rapport de la forme qu’il voulait le recommander à l’attention des savants. En face des modèles grecs, c’était pousser un peu loin l’aveuglement, d’ailleurs très-excusable, de l’enthousiasme ; et la littérature sanscrite, quelque belle qu’elle soit à certains égards, ne peut soutenir la comparaison avec la littérature grecque. Mais il y avait bien plus dans le sanscrit que des beautés littéraires : la philologie y retrouvait d’une manière évidente et incontestable la famille de toutes les langues principales qu’a parlées ou que parle l’Europe. Le grec, le latin, le celte, l’allemand, le slave, avec tous leurs dialectes dérivés, ont puisé à une source commune, peu importe d’ailleurs à quelles époques. Ce fait aussi inattendu qu’immense, aussi certain que surprenant, était démontré ; et l’histoire devait dès lors, bien qu’elle ne connût pas exactement la route, faire remonter par les langues toute notre civilisation occidentale jusqu’aux plateaux de l’Asie centrale.

On conçoit qu’un fait de cet ordre n’émût pas seulement les imaginations et qu’il séduisît aussi les esprits les plus positifs et les plus exacts. Ce fait était établi avec une certitude plus que mathématique ; et rien qu’à le prendre par le côté de la philologie, il était assez grand et assez curieux pour exciter les plus longs et les plus pénibles labeurs. MM. Burnouf devaient en être plus particulièrement frappés que qui que ce soit ; et tant de recherches données à l’intelligence de la langue grecque devaient leur rendre plus chère qu’à personne la découverte inespérée de ses origines. Voilà pourquoi le père d’abord et le fils ensuite ont cultivé le sanscrit. À leurs yeux, comme aux yeux de tous les juges éclairés, le sanscrit mérite de nos jours tout autant d’intérêt que le xve et le xvie siècle en accordèrent à l’étude du grec. On peut même dire sans exagérer que le sanscrit a de plus pour lui l’attrait d’une nouveauté que le grec n’avait point à l’époque de la Renaissance. La tradition qui rattache la civilisation moderne à la civilisation gréco-latine ne s’était jamais rompue, et en remontant à la pensée hellénique, on ne faisait que revenir à un passé déjà bien connu, si d’ailleurs il pouvait l’être mieux encore. Mais pour le sanscrit, qui savait, avant les travaux de William Jones, de Wilkins, de Colebrooke, de Chézy, tout ce que nous lui devions ? Qui savait que c’était là qu’il fallait aller chercher le