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INTRODUCTION À L’HISTOIRE

peut, comme je vais le dire, être le résultat d’une interpolation. Je veux parler des formules magiques ou charmes, nommées Mantras ou Dhâraṇîs, qui appartiennent en propre à la partie de la littérature buddhique nommée Tantra, dont il sera parlé dans une section spéciale. Ces formules, où quelques mots significatifs sont perdus parmi une foule de syllabes inintelligibles, ont trouvé place dans les Sûtras développés, et le Lotus de la bonne loi notamment a un chapitre consacré aux charmes que des Bôdhisattvas promettent à celui qui possédera le Lotus même[1]. On conçoit sans peine qu’une fois admise la croyance à l’efficacité de pareilles formules, il ait pu s’en introduire après coup dans des livres aussi estimés que les Sûtras développés du Mahâyâna. Mais il est permis de se demander pourquoi ces formules ne se sont pas glissées également dans les Sûtras que j’appelle simples. Or j’ai examiné avec une très-grande attention tous les traités des deux recueils du Divya avadâna et de l’Avadâna çalaka ; et la trace la plus frappante de Dhâraṇî ou de formule magique que j’y aie rencontrée se trouve dans la légende de Çârdûla karna, légende à laquelle j’emprunterai quelques passages relatifs aux castes, et que je soupçonne d’être plus moderne que plusieurs autres légendes de ces deux collections[2]. On doit donc regarder comme établi que les Mantras et les Dhâraṇîs sont tout à fait étrangers aux Sûtras simples, tandis qu’on en rencontre des traces plus ou moins nombreuses dans les Sûtras développés. Quelle que soit la cause de ce fait, il constitue à lui seul une différence notable qu’il importe de joindre aux autres caractères que j’ai rassemblés plus haut. Ainsi, et pour me résumer, les Sûtras que je regarde comme primitifs, c’est-à-dire comme les plus rapprochés de la prédication de Çâkya, sont restés à l’abri de la double influence qu’ont exercée sur les Sûtras développés le système des Buddhas et des Bôdhisattvas célestes, et la classe des Tantras, ou plus spécialement des Dhâraṇîs, c’est-à-dire des formules qui appartiennent à cette classe de livres.

Comment est-il possible maintenant de comprendre l’existence de ces deux catégories de Sûtras ? Il me semble que le passage précité de Fa hian et les résultats de mes recherches sur les anciennes écoles entre lesquelles se partage le Buddhisme du Nord fournissent une explication très-satisfaisante de cette difficulté. Fa hian atteste en vingt endroits de sa relation qu’il existait de son temps de nombreuses écoles, vivant paisiblement les unes auprès des autres sous des maîtres distincts, et ordinairement dans des monastères séparés. Les sectateurs du Mahâyâna sont entre autres fréquemment cités, et distingués par

  1. Le Lotus de la bonne loi, ch. xxi, fol. 207 b du texte, p. 238 sqq. de la traduction.
  2. Çârdûla karṇa, dans Divya avadâna, fol. 218 a, man. Soc. Asiat.