Page:Burnouf - Introduction à l’histoire du bouddhisme indien.djvu/163

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
121
DU BUDDHISME INDIEN.

résultats qu’on doit attendre de l’étude des Sûtras envisagés sous ce point de vue, un fait qui mériterait d’être vérifié sur des textes plus nombreux que ceux que nous possédons ; c’est que, nulle part, dans les traités du Divya avadâna, je n’ai trouvé le nom de Krĭchṇa. Est-ce à dire que les légendes relatives à ce personnage, actuellement si célèbre dans l’Inde, n’étaient pas encore répandues parmi le peuple, ou que son nom n’avait pas encore pris place auprès des autres Dieux brâhmaniques ? Je n’oserais certainement l’affirmer, mais le sujet est bien digne de toute l’attention de la critique ; car de deux choses l’une : ou Krĭchṇa était vénéré dans l’Inde avec le caractère presque divin que lui attribue le Mahâbhârata, lorsque parut Çâkyamuni et lorsque furent rédigées ses prédications ; ou sa divinité n’était pas encore universellement reconnue au temps de Çâkya et des premiers apôtres du Buddhisme. Dans le premier cas, il faudra expliquer le silence que gardent les Buddhistes à son égard ; dans le second, il faudra reconnaître que les monuments littéraires des Brâhmanes où Krĭchṇa joue un si grand rôle sont postérieurs à la prédication de Çâkya et à la rédaction des livres qu’on a droit de regarder comme les autorités écrites les plus anciennes du Buddhisme[1]. Mais dans l’un comme dans l’autre cas, il faut avoir acquis la certitude qu’aucun ouvrage buddhique ne cite Krĭchṇa parmi les Divinités, selon moi, brâhmaniques, admises par Çâkya lui-même.

Quoi qu’il puisse être de la solution générale du problème indiqué tout à l’heure, cette circonstance que le nom de Krĭchṇa manque dans tous les Sûtras que j’ai lus s’accorde avec d’autres indices, pour nous représenter la religion indienne, telle que ces traités nous l’offrent, sous un jour un peu différent de celui sous lequel nous la montrent les Purâṇas brâhmaniques. Je n’hésite pas à dire que le Brâhmanisme y porte un caractère plus antique et plus simple que dans les recueils que je viens de citer. Cette différence doit-elle être attribuée à l’action du Buddhisme qui aurait fait un choix parmi les Divinités adorées des Brâhmanes ? ou vient-elle de ce que les Sûtras reproduisent une tradition antérieure à celle des Purâṇas ? J’avoue qu’entre ces deux suppositions, c’est la seconde qui me semble être de beaucoup la plus vraisemblable. Les Sûtras me paraissent contemporains d’une époque où les Vêdas

  1. Je n’ai aucun moyen de m’exprimer avec plus de précision sur cette question curieuse. Je rappellerai seulement que la haute raison de Colebrooke lui avait déjà inspiré des doutes sur l’antiquité du culte de Krĭchṇa, et que ce savant était bien près de déclarer postérieur à l’établissement du Buddhisme le développement des fables et des légendes qui ont fait un Dieu du fils de Dêvakî. (Miscell. Essays, t. II, p. 197.) On trouvera peut-être plus tard que l’extension considérable qu’a prise le culte de Krĭchṇa n’a été qu’une réaction populaire contre celui du Buddha, réaction qui a été dirigée ou pleinement acceptée par les Brâhmanes.